CHRONIQUE DE GERARD ARAUD. Quelle issue pour le mouvement des Iraniennes, derrière lequel s’est rangée la population qui ne supporte plus le régime des mollahs ?
la suite de la mort aux mains de la police de Mahsa Amini arrêtée pour ne pas avoir respecté les obligations sur le port du voile, les femmes iraniennes se sont révoltées avec un incroyable courage et ont été rejointes dans la rue par tous les Iraniens – et ils sont la majorité – qui en ont assez d’un régime autoritaire, incompétent et corrompu.
La Révolution de 1979 était portée par l’espoir de se débarrasser d’une monarchie qui faisait du pays un pion des États-Unis. Les mollahs qui ont alors pris le pouvoir derrière Khomeini ont su jouer un temps du nationalisme de la population, d’autant que le pays a été envahi peu après par l’Irak et qu’il a fallu refouler l’agresseur au cours d’une guerre longue et sanglante.
Depuis lors, l’enthousiasme est retombé ; la désillusion est venue. L’Iran ne correspond pas à l’image qu’on en a souvent en Occident. J’y suis allé à plusieurs reprises lorsque nous essayions de négocier un accord sur les activités nucléaires suspectes qui y étaient conduites. Chaque fois, en dehors des entretiens officiels, j’ai pu avoir un aperçu d’une société bouillonnante, éduquée et fière de sa culture qui était lasse des mollahs, de leurs exigences tatillonnes et de leur incompétence économique. Je n’ai pas rencontré au Moyen-Orient de population moins anti-occidentale et moins anti-israélienne, quoi que clame son gouvernement. Les chauffeurs de taxi échangent les dernières blagues salaces sur le clergé chiite. Les femmes représentent la majorité des étudiants à l’université. Dans les rues de Téhéran, on m’abordait volontiers de la manière la plus amicale.
Équilibre
La République islamique se pique de démocratie et, hommage rendu à la vertu, elle doit organiser des élections présidentielles et législatives : leur trucage est devenu, au fil de la montée de l’opposition, de plus en plus ostensible jusqu’à conduire à des émeutes au moment de la réélection trafiquée de Mahmoud Ahmadinejad en 2009. Désormais, les Iraniens savent que le système ne leur permettra pas d’exprimer pacifiquement leur rejet, mais ils en connaissent aussi la brutalité insigne. Régime et population sont donc parvenus à un étrange modus vivendi : le premier tolère, la plupart du temps, les menues libertés que prend la population par rapport aux multiples interdits religieux et la seconde, de son côté, fait face aux difficultés économiques, fruit des sanctions américaines et de la mauvaise gestion des mollahs, tout en ne s’aventurant pas dans une contestation politique qui n’a mené jusqu’ici qu’à des impasses sanglantes.
Cet équilibre fait de résignation et de ressentiment était fragile. Il a suffi d’un incident pour le remettre en cause. Les Iraniens sont, une fois de plus, descendus dans la rue pour dire qu’ils vomissent un régime à bout de souffle. Les Français aiment les comparaisons historiques : l’Iran aujourd’hui, c’est le Directoire sans les Merveilleuses mais avec la corruption, les inégalités, le mépris des élections et la violence toujours à portée de main. Plus rien de l’élan révolutionnaire.
Peut-on espérer que cette aspiration à la liberté soit entendue ? Le passé nous apprend que le régime ne recule devant rien lorsque sa survie est en jeu et, de l’autre, les manifestants n’ont aucun nom, aucun symbole, aucun programme derrière lesquels se rassembler. L’opposition démocratique a été laminée et la monarchie n’est qu’un lointain souvenir. L’ombre d’une répression sanglante pèse donc sur l’Iran. Seule l’armée pourrait changer les règles du jeu, mais elle a été mise au pas, elle est surveillée par les Gardiens de la Révolution et les mollahs qui connaissent leur histoire et ont veillé à ce qu’elle n’abrite ni Cromwell ni Bonaparte.
Une nouvelle guerre ?
Que pouvons-nous faire ? Pas grand-chose, hélas. Toute intervention de notre part permettrait d’accuser les manifestants d’être les agents du Mossad, du MI6 ou de la CIA. Par ailleurs, le régime a arrêté un certain nombre de ressortissants occidentaux comme otages. Des sanctions, l’Iran en subit déjà d’extrêmes sans qu’elles ne le fassent fléchir. Je crains que nous ne soyons condamnés à être les spectateurs d’un drame qui peut devenir à tout moment une tragédie.
Mais cette crise n’est pas qu’intérieure, elle porte aussi la menace d’une guerre. En effet, le pays s’est engagé dans un programme nucléaire dont il est impossible de nier le caractère militaire. Un instant contenu par un accord signé avec les pays occidentaux, la Chine et la Russie en 2015, celui-ci a repris de plus belle après que Trump l’eut dénoncé en 2018. Dès son élection, Joe Biden a proposé d’y revenir, mais les négociations n’ont pas encore abouti et tout laisse craindre désormais qu’elles n’échouent : Washington ne peut apparaître faire des concessions à un régime qui tire sur la foule, et Téhéran doit être intransigeant pour prouver qu’il n’est pas affaibli. Mais si l’Iran continue sa marche vers la bombe, le risque est grand d’une opération militaire sur ses sites nucléaires, qu’elle soit israélienne ou américaine. De mon poste d’ambassadeur à Tel-Aviv, j’ai tiré la conviction qu’Israël n’acceptera jamais qu’un pays qui appelle à sa disparition accède à l’arme suprême. Le spectre de la guerre flotte décidément sur le monde….
LE POINT