You are currently viewing Gérard Araud – Une autre guerre à nos portes ?

Gérard Araud – Une autre guerre à nos portes ?

CHRONIQUE. Le soulèvement populaire en Iran depuis plusieurs mois n’a pas freiné la volonté de la République islamique de poursuivre son programme nucléaire.

Notre attention est à ce point centrée sur la guerre en Ukraine que nous paraissons avoir oublié une autre crise qui pourrait bel et bien déboucher dans les mois qui viennent sur un autre conflit à nos portes. Il est vrai que, le pays en question, l’Iran bien entendu, fait face depuis maintenant plus de trois mois à de telles manifestations de sa population qu’elles ont relégué au second plan la question nucléaire qui paraît bien technocratique à côté de la magnifique résistance des Iraniens à un pouvoir rétrograde et oppresseur.

r, non seulement une crise n’a pas effacé l’autre, mais, d’une certaine manière, elle l’a rendue encore plus inextricable, encore plus dangereuse. En effet, les tensions internes auxquelles fait face le régime rendent désormais improbable un accord entre la République islamique et la communauté internationale sur le contrôle de son programme nucléaire.

Ce contrôle, rappelons-le, elle l’avait accepté en 2015 lorsqu’elle avait signé un accord avec le groupe dit du P5 + 1, qui réunit les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne. Ce texte prévoyait des inspections particulièrement intrusives pour s’assurer que l’Iran ne cherchait pas à accéder à l’arme nucléaire à laquelle elle avait renoncé en signant le Traité de non-prolifération (TNP). Il répondait ainsi aux préoccupations légitimes qu’avait suscité la découverte, en 2002, d’un vaste programme clandestin dont la finalité ne pouvait être que militaire. Il était d’ailleurs révélateur que la Russie et la Chine se soient associées aux pays occidentaux pour contraindre l’Iran à fournir les garanties nécessaires à coups de résolutions de sanctions votées par le Conseil de sécurité. Elles savaient que c’était l’ensemble des régimes de contrôle des armements qui étaient en jeu : l’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran conduirait ses voisins, notamment la Turquie et l’Arabie saoudite, à la suivre. Neuf ans de négociations longtemps décevantes, comme je peux en témoigner pour y avoir représenté notre pays, avaient enfin débouché sur un accord grâce à l’engagement de l’administration Obama.

Pourquoi Trump s’est retiré de l’accord nucléaire ?

Hélas, en 2018, Trump dénonçait l’accord et soumettait l’Iran à des sanctions sans précédent qui revenaient à déclencher une véritable guerre économique contre ce pays qui, de son côté, fort logiquement, répliquait en reprenant ses activités les plus problématiques, c’est-à-dire l’enrichissement de l’uranium dont la finalité ne peut être que militaire en l’absence de tout usage civil identifiable. Comme on pouvait s’y attendre, la République islamique, qui en avait vu d’autres, n’a pas cédé aux pressions américaines.

Lorsqu’il a été élu en 2021, Joe Biden a immédiatement annoncé son intention de revenir à l’accord de 2015. Les États-Unis ont donc entamé une négociation à cette fin avec l’Iran. Elle n’était pas simple : en effet, à Téhéran, il était facile de souligner que les républicains à Washington annonçaient leur intention de dénoncer ce nouvel accord s’ils remportaient les élections en 2024. Fallait-il que la République islamique se soumette ainsi aux fantaisies de la politique intérieure américaine ? Par ailleurs, l’administration Trump avait multiplié les sanctions en les conditionnant de telle sorte qu’il soit difficile de les lever. Le négociateur nommé par Biden, Robert Malley, ne pouvait donc offrir qu’un relâchement partiel des contraintes qui pèsent sur l’économie iranienne. Toujours est-il que les négociations ont traîné jusqu’à ce qu’éclatent les troubles en Iran.

C’est là que politiques intérieure et extérieure entrent en collision dans les deux pays. En effet, aux États-Unis, il devient politiquement impossible pour l’administration de faire des concessions à un régime qui tire sur les manifestants et pend ses opposants. Or, tout accord comporterait inévitablement le transfert de fonds bloqués dans les banques américaines. On imagine les cris d’orfraie des républicains et le malaise de l’opinion publique si des milliards de dollars étaient rétrocédés à la République islamique. Mais, de l’autre côté, ce n’est pas mieux : en effet, le régime qui se sent assiégé ne peut se permettre d’apparaître faible alors qu’il doit mobiliser sa base aux yeux de laquelle les États-Unis sont un Satan auteur de tous les maux. Il est rejeté vers des radicaux qui sont convaincus que la possession de l’arme nucléaire serait la garantie dont le pays a besoin. Après tout, disent-ils, Kadhafi n’aurait pas été renversé s’il n’avait pas renoncé à cette arme alors qu’il était sur le point de l’acquérir.

Dans ce contexte, un accord qui renouvellerait les garanties données par le précédent paraît aujourd’hui hors d’atteinte. Pendant ce temps, on peut à juste titre considérer que l’Iran est en route vers une capacité nucléaire militaire. Or, cette perspective, Israël a maintes fois déclaré qu’il ne l’accepterait pas sans réagir. Il serait inconcevable qu’un pays qui appelle à la disparition d’Israël acquière cette arme. Son Premier ministre, Benyamin Netanyahou, a toujours manifesté une fermeté particulière à cet égard. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis partagent cette position. En l’absence de toute négociation, il est difficile de ne pas considérer que le risque d’une action militaire israélienne en Iran ne cesse de grandir avec toutes les conséquences désastreuses que l’on peut imaginer.

 

https://www.lepoint.fr/monde/gerard-araud-une-autre-guerre-a-nos-portes-29-01-2023-2506639_24.php