CHRONIQUE. Comment les Américains tempèrent les ardeurs des partisans d’une entrée immédiate de l’Ukraine au sein de l’Alliance atlantique.
Les 11 et 12 juillet prochains, les chefs d’État et de gouvernement des 31 pays membres de l’Otan – 29 pays européens, les États-Unis et le Canada – se retrouveront à Vilnius en Lituanie pour un nouveau sommet de l’Alliance atlantique. Comme on peut l’imaginer, la guerre en Ukraine sera le centre des débats qui s’y tiendront. Certes, le président Zelensky sait que son pays ne rejoindra pas l’organisation avant la fin de la guerre mais il voudrait que le sommet soit l’occasion pour les alliés de donner l’assurance qu’ils accueilleront son pays parmi eux, dès que possible.
Les États-Unis, discrètement appuyés par l’Allemagne et les pays européens du Sud, ont manifesté publiquement leur réticence à suivre cette voie. La révélation, cette semaine, de contacts indirects russo-américains sur l’Ukraine, rappelle que l’administration américaine n’est pas, sur cette question comme dans le reste de sa gestion du conflit, du côté des durs. Elle craint que la Russie, confrontée à la perspective d’une Ukraine dans l’Otan, n’ait aucune raison de négocier puisqu’une paix conduirait à la réalisation de son pire cauchemar. Un rideau de fer tomberait définitivement entre la Russie et la Biélorussie et le reste du continent. Or, Washington veut négocier. Certes la notion d’une neutralité de l’Ukraine, état tampon entre l’Otan et la Russie, paraît aujourd’hui irréaliste étant donné l’agression russe, mais il existe une gradation avant l’entrée pure et simple de ce pays dans le camp occidental.
‘est pourquoi circule l’idée américaine d’une garantie de sécurité donnée à l’Ukraine par quelques États européens en dehors de l’Otan. La France s’y est dite ouverte. Cependant, nos alliés de l’Est refusent avec passion cette perspective : « La seule garantie concevable de l’Ukraine, c’est l’Otan », a ainsi déclaré la présidente d’Estonie. Il faut dire que, du fait de leur histoire et de leur géographie, ils ne conçoivent d’autre après-guerre qu’une Europe rassemblée contre une Russie qui resterait une ennemie menaçante. Ils jugent que l’appartenance à l’Alliance est la seule manière de faire comprendre à celle-ci qu’elle ne pourrait pas renouveler son agression contre son voisin.
On voit donc que, à quelques jours de l’ouverture du sommet, le désaccord stratégique entre alliés reste de taille, sans même rappeler l’opposition turque à l’accession de la Suède à l’Alliance. À cet égard, pour avoir négocié moi-même deux communiqués de sommet de l’Otan pour la France, je devine que les diplomates doivent actuellement passer de longues heures pour trouver le bon équilibre entre des positions à ce point éloignées.
Une alliance peu disciplinée
La France pourrait d’ailleurs jouer un rôle de médiateur entre les deux camps. En effet, récemment, Emmanuel Macron s’est certes prononcé sans ambiguïté en faveur de l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan, ce qui est nouveau dans la position de la France, mais sans rejoindre le camp des intransigeants. Nous pourrions donc, par exemple, proposer une accélération du processus d’adhésion de l’Ukraine sans en tenir l’issue pour acquise.
Le traitement de la candidature de l’Ukraine à l’Otan et le soutien à ce pays dans la guerre qu’il doit conduire face à l’envahisseur russe ne résumeront pas ce sommet. En effet, au cours du précédent qui s’est tenu, l’an dernier, à Madrid, les alliés avaient pris des mesures de réorganisation du dispositif militaire de l’Alliance, les plus drastiques depuis la fin de la guerre froide, afin de garantir la sécurité des alliés d’Europe de l’Est confrontée à la menace russe. Les pays membres avaient pris des engagements précis, non seulement pour accroître le prédéploiement de troupes sur le territoire de ceux-ci mais pour avoir la capacité d’y engager rapidement des effectifs considérables en cas de besoin. Comme toujours, à l’Otan, il y a loin de la coupe aux lèvres. Les mesures prises par la plupart des États membres sont loin de répondre à ces décisions. Nul doute qu’on leur fera la leçon, qu’ils réitéreront solennellement leur engagement et… agiront comme ils l’entendent. Ne surestimons pas la discipline de l’Alliance.
Enfin, dernier sujet, la succession de l’actuel secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, un Norvégien. Les candidats ne convainquent pas parce qu’ils appartiennent à l’un ou l’autre des camps qui divisent l’Alliance sur la question de l’Ukraine. Nul ne veut du Britannique brexiteur. Il est donc inévitable que les diplomates recourent à leur formule préférée dans ce genre de cas, reporter la décision en prolongeant d’un an le mandat du secrétaire général actuel qui s’est laissé « forcer la main » (en réalité, il en rêvait).
Un sommet, c’est une grande messe où les discours officiels ne sont que des exercices obligés qui ont peu d’auditeurs attentifs en dehors des diplomates qui en écriront le compte rendu (et encore…). Dans ce genre de réunions, tout est fait pour régler les problèmes avant l’arrivée des chefs d’État et de gouvernement afin de ne pas étaler publiquement les désaccords. Cette fois-ci, ce ne sera pas facile. Les diplomates devront déployer tout leur talent pour « l’ambiguïté constructive » dans la rédaction du communiqué final afin de dissimuler le mieux possible les « fissures » entre alliés. Car « fissures », il y a….