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Le déclin européen

LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. Face à l’émergence d’un nouveau monde, notre continent est-il condamné à devenir une destination touristique ou une maison de retraite ?

Que de fois avons-nous lu ou entendu que nous vivions « le déclin de l’empire américain » ! Au point que cette expression a donné un titre à un excellent film québécois des années 1980. Apparemment, nos temps devraient nous y ramener au moment où l’émergence de la Chine et de l’Inde, le retour agressif de la Russie et les ambitions de la Turquie, du Brésil et d’autres se conjuguent pour annoncer la fin du « moment occidental », cette courte période qui a vu, depuis l’effondrement du bloc communiste, un Occident réuni sous la houlette des États-Unis dicter sa loi au reste du monde.

Nous y avons à peine pris garde tant notre suprématie nous semblait naturelle et bienfaisante. « Un monde fondé sur des règles », « la diffusion des droits de l’Homme et de la démocratie », annoncions-nous sans nous rendre compte que nos actes démentaient trop souvent nos déclarations pour ne pas susciter ressentiment et amertume autour de nous.

C’est fini, ose-t-on nous dire aujourd’hui, au moment où Poutine nous embourbe dans une guerre du XIXe siècle ; on ose même critiquer cette démocratie à laquelle nous obligions chacun de rendre un culte public à défaut d’être fervent ; le monde s’émancipe de notre tutelle. Sommes-nous donc tous, Américains et Européens, emportés par un déclin inéluctable ?

Je n’en suis pas convaincu : pas en tout cas en ce qui concerne les États-Unis, qui conservent leurs atouts traditionnels : le centre financier du monde à New York, d’excellentes universités, des centres de recherche exceptionnels et leur esprit d’entreprise. Ils offrent aux investisseurs un grand marché, une énergie abondante et pas chère et une absolue sécurité juridique et fiscale. Enfin, ils ont découvert les charmes de la politique industrielle et du protectionnisme pour encourager les entreprises étrangères à s’installer sur leur territoire, ce qu’elles font en grand nombre.

La prophétie d’Obama

Quant à la suprématie du dollar, dont on nous annonce régulièrement la fin, tous les efforts pour en contester le statut se sont heurtés à l’incapacité de le remplacer. L’Inde achète le pétrole russe en roupies mais Moscou ne sait qu’en faire et les accumule à New Delhi. En 2022, le dollar a représenté 58,4 % des réserves mondiales de change et 47,6 % des paiements internationaux. Les mêmes chiffres sont respectivement de 2,45 % et de 10 % pour le yuan chinois. Et ne parle-t-on pas aujourd’hui d’une crise de l’économie chinoise qui pourrait être structurelle ?

Le cas est sans doute plus difficile à plaider pour l’Europe. C’est ce que laissait d’ailleurs entendre Obama, qui, dans une interview qu’il donnait à la veille de son départ de la Maison-Blanche en 2016, prophétisait que l’avenir du monde se jouerait entre New Delhi et Los Angeles. L’Europe dans tout cela ? Parler à nos amis américains et asiatiques, c’est rapidement sentir que, pour eux, c’est une région certes riche mais progressivement marginalisée par le retour de cette Asie qui a été, pendant des millénaires, la plus riche du monde et qui rêve de le redevenir.

Le siècle du Pacifique s’annoncerait après ceux de l’Atlantique. Il est vrai qu’une croissance médiocre et surtout une démographie de plus en plus déficiente annoncent un continent qui vieillit et s’assoupit dans le confort de sa social-démocratie et les souvenirs de sa grandeur ; une destination de tourisme plus qu’un foyer de création et d’aventure. Partout en Europe s’affirme d’ailleurs le règne électoral des retraités, dont la satisfaction des demandes pèse de plus en plus sur les actifs et les jeunes.

Que la Russie envahisse l’Ukraine et ce sont les États-Unis qui seuls sont capables d’envoyer les armements en quantité suffisante pour résister. Quant à la transition technologique qui s’accélère, elle continue de trouver sa source en Californie, où affluent toujours les meilleurs chercheurs et ingénieurs européens, qui y cherchent les moyens et le dynamisme que ne fournit pas le Vieux Continent.

L’Europe en proie à ses démons intérieurs

Le camp de vacances et la maison de retraite que risque de devenir l’Europe pourraient espérer connaître encore de beaux jours en marge de l’histoire. Le problème, c’est que l’histoire refuse de l’oublier. Non seulement la Russie s’est lancée dans une entreprise qui en fait durablement un ennemi, mais le sud de notre continent est lourd de dangers, avec une Turquie forte d’avoir recouvré sa puissance et surtout une Afrique à la démographie galopante qui devrait porter sa population de 1,4 milliard aujourd’hui à 2,5 milliards en 2050, c’est-à-dire demain, le tout aux portes d’un continent riche et vieillissant…

L’histoire n’est écrite nulle part. L’Europe a prouvé maintes fois sa résilience, mais force est de constater qu’elle aura plus que jamais besoin de toutes ses qualités pour ne pas devenir victime d’une histoire qu’elle a longtemps écrite elle-même. Or, loin de bander ses énergies, elle se divise, toute à ses démons intérieurs. Des pays qui ne sont que des cantons dans le monde d’aujourd’hui se perdent dans des querelles dérisoires. C’est d’unité, de vision et de jeunesse que nous avons besoin.

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