Gérard Araud : LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. Notre pays pourrait tirer profit de l’émotion que suscitent les événements pour faire sortir la communauté internationale de sa passivité.
La tragédie que vivent Israéliens et Palestiniens depuis l’attaque du 7 octobre remet sur la table le conflit qui les oppose depuis 1948. Nul ne paraît prêt à s’en saisir. Pour négocier, il faut être deux : or, nous n’avons rien à espérer des protagonistes.
En effet, il est clair que jamais Israël ne verra dans le Hamas un partenaire après les atrocités que ce mouvement a commises. On ne peut attendre qu’il fasse des concessions en faveur de tels ennemis qui, de surcroît, appellent à sa disparition.
De son côté, le gouvernement israélien s’oppose de toutes ses forces à la création d’un État palestinien. Ce n’est donc pas renvoyer les deux adversaires dos à dos que de constater que ni chez les Israéliens ni chez les Palestiniens, n’existe aujourd’hui de force politique capable de prendre les décisions difficiles et courageuses qui permettraient l’ouverture de négociations de paix pour la création de deux États entre la mer et le Jourdain. L’impulsion doit venir de l’extérieur.
La communauté internationale doit sortir de sa passivité
L’erreur serait d’attendre que la fièvre actuelle retombe pour revenir à la négociation entre les deux ennemis. Il faut, au contraire, tirer profit de l’émotion que suscitent les événements pour faire sortir la communauté internationale de sa passivité avant qu’elle n’y retombe. Aujourd’hui, on répète partout que rien ne sera comme avant, mais ce ne sont que des mots.
La réalité, c’est que la crise que nous vivons si atroce soit-elle ne modifie en rien les équilibres géopolitiques de la région. Dans ce contexte, les États du Moyen-Orient, Israël au premier chef, aspirent à retourner à un statu quo ante qui leur était favorable. L’émotion des opinions publiques offre à la diplomatie une courte fenêtre d’opportunité dont il faut profiter pour convaincre nos partenaires que ce ne serait qu’une dangereuse illusion qui nous mettrait à la merci du renouvellement d’une crise. La France peut en être le messager désintéressé.
L’administration Biden, qui entre dans une campagne électorale difficile, doit répondre à la colère de l’aile gauche du parti démocrate sans s’aliéner les centristes favorables à Israël : elle peut avoir intérêt à laisser à d’autres l’initiative à condition d’être consultée. Les pays arabes doivent prouver à leur opinion publique qu’ils prennent au sérieux la cause palestinienne sans cependant remettre en cause leur rapprochement avec Israël et sans apparaître soutenir le Hamas, leur ennemi. La Chine, pour laquelle la stabilité de la région est essentielle car elle est son principal pourvoyeur d’énergie, a un rôle à jouer d’autant que sa participation rendrait plus difficile l’obstruction de la Russie et de l’Iran. L’Union européenne et le Royaume-Uni, moyennant le respect des « convenances » à leur égard, devraient suivre.
Dans ce contexte, si nous voulons ouvrir une négociation, il faut, d’une part, agir vite en allant à l’essentiel sans laisser les deux parties multiplier leurs habituelles tactiques dilatoires et, d’autre part, mobiliser la communauté internationale pour qu’elle pèse de tout son poids pour convaincre celles-ci de faire les concessions nécessaires.
Jérusalem, capitale des deux États
Pour atteindre ces objectifs, la France pourrait proposer une déclaration qui pourrait avoir deux grandes parties :
La première définirait le règlement final en allant assez loin dans les détails. Nous en connaissons les grandes lignes. Ne perdons pas de temps. Pourquoi ne pas les officialiser et mettre ainsi les deux parties face à leurs responsabilités ? Deux États sur la base de la ligne de 1967, Jérusalem la capitale des deux États avec garantie internationale d’accès aux lieux saints, la démilitarisation de l’État palestinien, l’indemnisation des descendants des réfugiés Palestiniens sans droit au retour.
La seconde partie qui serait la plus créative définirait d’une certaine manière le « paquet-cadeau » que la communauté internationale serait prête à mettre au pot pour aider Israël et les Palestiniens à parvenir à un accord sur la base de la première partie : financement par les pays arabes de la construction d’un État palestinien, association à l’UE des deux États, rôle de l’Otan, garanties de sécurité à Israël etc. Il s’agit de créer un choc psychologique pour prouver à l’opinion publique des deux ennemis qu’elle a un intérêt à conclure. Il faut ainsi donner la parole aux modérés israéliens et palestiniens, qui se taisent par absence d’espoir.
Pour conclure, la déclaration pourrait appeler à l’organisation d’élections sous contrôle international dans les territoires palestiniens sur cette base et immédiatement après à l’ouverture de négociations entre Israël et l’autorité palestinienne qui en résulterait. Cette déclaration devrait être soumise à l’adhésion du plus grand nombre d’États signataires possibles avant d’être approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Je pourrais moi-même soulever les multiples objections que suscite cette proposition. Elle est audacieuse mais le moment est venu de trancher : soit nous nous résignons à la répétition régulière de la tragédie que nous vivons, soit nous refusons d’être les otages des extrémistes des deux camps et nous prenons nos responsabilités. Le risque de l’échec est réel. Ce serait l’honneur de la France de le prendre.