You are currently viewing Sommes-nous à la veille d’une guerre nucléaire franco-russe?

Sommes-nous à la veille d’une guerre nucléaire franco-russe?

AjoLA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. Les récentes déclarations d’Emmanuel Macron et de Vladimir Poutine suscitent l’inquiétude en Europe.utez votre titre ici

ans une guerre, les enjeux sont trop importants pour ne pas mobiliser des camps farouchement opposés et les souffrances sont trop intenses pour ne pas susciter l’émotion. Dans ce contexte, la voix de la raison est rapidement étouffée. Ses nuances apparaissent trahison, son réalisme lâcheté. Cette semaine, le plus sage serait d’ailleurs qu’elle se taise devant l’ampleur de la tâche.

Comment voulez-vous, dans ces conditions, faire taire le chœur qui s’élève pour crier au danger, pour annoncer une guerre mondiale ? Voilà que l’un dit qu’il « ne veut pas mourir pour le Donbass » comme si on le lui avait demandé et que l’autre appelle à une négociation à tout prix. Dieu sait que je me méfie des parallèles historiques avec la Seconde Guerre mondiale, mais j’ai parfois l’impression de lire la presse française avant notre capitulation à Munich en 1938.

« Rien ne doit être exclu »
M’écouterez-vous si je vous disais que c’est beaucoup de bruit pour rien ? Revenons d’abord à la déclaration du président de la République à la source de ce brouhaha. Après avoir réuni une vingtaine de pays européens pour organiser et intensifier le soutien à l’Ukraine alors que la Russie marque des points et que les États-Unis se déchirent, en réponse à une question d’un journaliste, il a déclaré : « Il n’y a pas de consensus pour envoyer de manière officielle assumée des troupes au sol. Mais, en dynamique, rien ne doit être exclu. »

C’est clair : les Européens n’ont pas décidé d’envoyer des forces au sol en Ukraine au-delà des forces spéciales ou des techniciens dont la présence sur le terrain est un secret de Polichinelle. C’est la confirmation de cette absence de décision qui est l’essentiel. Nul besoin de s’affoler et de protester, mais évidemment qu’il fallait ajouter que rien n’était exclu à l’avenir : c’est le b.a.-ba de la dissuasion que de laisser planer l’incertitude sur ses intentions. « Toutes les hypothèses sont sur la table » est la phrase clé de toute crise pour brouiller les calculs de l’adversaire.
Si Emmanuel Macron n’avait pas répondu comme il l’a fait, le message à la Russie aurait été : « Prenez Kiev, vous n’avez rien à craindre de nous. » Au fond, au-delà des considérations de politique intérieure, cette poussée de fièvre médiatique prouve, une fois de plus, que nos sociétés pacifiques ont oublié la logique de la guerre.

Si vous voulez la paix, ce n’est pas en allant la mendier chez l’agresseur que vous l’obtiendrez, mais en le persuadant que vous êtes déterminé à l’empêcher de l’emporter. Il s’assiéra à la table non par amour de la paix, mais par obligation. La manière la plus sûre de ne pas « mourir pour le Donbass », c’est de convaincre l’adversaire qu’on est prêt à le faire.

« Nouvelle Russie »
Quant à la réponse de Poutine qui fait froid dans le dos de beaucoup, j’espère que je rassurerai certains en leur disant qu’il n’y a là rien de nouveau. Dans un discours fleuve de deux heures et demie, il n’a rien fait d’autre que de rappeler la doctrine nucléaire de son pays comme il l’avait d’ailleurs fait à d’autres reprises, dans des termes comparables, depuis le début de la guerre.

Il est d’ailleurs frappant de relever que, si les Russes ont agité un peu trop fréquemment la menace nucléaire depuis deux ans, ils ne l’ont fait que d’une manière parfaitement « orthodoxe » en termes de doctrine de dissuasion. Il s’agit, disent-ils – et Poutine le rappelle une fois de plus –, de défendre les intérêts vitaux du pays, en particulier en cas d’invasion étrangère.

Ce n’est pas une arme de théâtre, mais le recours ultime. Il se trouve que nul n’a l’intention de menacer ainsi la Russie : ce n’est donc qu’un sabre de bois qu’on agite pour effrayer les opinions publiques européennes. Par ailleurs, pour tous ceux qui appellent à une négociation immédiate avec l’agresseur, une lecture du reste du discours devrait les éclairer : le président russe, qui parle de la « Nouvelle Russie » – concept qui couvre une grande partie du territoire ukrainien –, n’évoque, à aucun moment, la perspective d’un compromis.

Sa seule perspective reste, à l’évidence, la victoire militaire qu’il considère à sa portée. Négociation peut-être, mais sur l’équilibre stratégique et avec les États-Unis dans ce qui est l’obsession de la diplomatie russe d’être considérée comme l’interlocuteur et l’égal de la seule puissance qu’on respecte à Moscou.

 

LE POINT

Ancien ambassadeur aux États-Unis, aux Nations unies et en Israël, Gérard Araud est l’un des diplomates français les plus réputés au monde. Auteur de plusieurs ouvrages consacrés aux affaires internationales (Passeport diplomatique, Grasset, 2019 – Henry Kissinger : le diplomate du siècle, Tallandier, 2021 – Histoires diplomatiques : leçons d’hier pour le monde d’aujourd’hui, Grasset, 2022 – Nous étions seuls : une histoire diplomatique de la France 1919-1939, Tallandier, 2023) il tient une chronique hebdomadaire dans Le Point depuis 2019.,