LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. La crise entre l’Iran et Israël nous le rappelle : l’escalade est du funambulisme au-dessus du maelstrom de la guerre.
Les pays engagés dans un conflit recourent tous, à un moment ou à un autre, à une figure de style de la stratégie : l’escalade. Elle repose sur un paradoxe puisqu’on frappe plus fort dans une gradation d’ailleurs soigneusement étudiée mais seulement pour prouver qu’on peut le faire tout en laissant entendre qu’on aimerait ne pas avoir à poursuivre dans une voie qu’on ne recherche pas mais qu’on est prêt à suivre. C’est le recours à la violence pour limiter la violence…
Si la manœuvre réussit, l’autre partie doit conclure soit qu’elle n’a pas intérêt à dépasser les limites actuelles de l’affrontement soit même qu’elle doit accepter sa défaite face à un ennemi aussi puissant et aussi déterminé. Le problème qui rend ce codage de la violence dangereux, c’est que la gestion de l’escalade devient en soi un enjeu : le dernier qui a franchi un nouveau seuil risque d’apparaître comme ayant imposé sa volonté à l’autre. Chacun veut donc clôturer l’épisode ce qui peut alors déclencher une course incontrôlée jusqu’à une guerre sans règles ni limites.
La tension actuelle entre Israël et l’Iran en est une illustration exemplaire en vraie grandeur. Une leçon pour stratèges en herbe. Les deux pays s’opposent depuis des décennies dans une confrontation plus ou moins ouverte mais qui est restée jusqu’ici au stade des fleurets mouchetés. L’origine en est l’aspiration hégémonique régionale de la République islamique qui trouve Israël sur son chemin. Quel qu’en soit le vocabulaire révolutionnaire et religieux, le fondement en est une rivalité géopolitique de type classique comme le prouve l’alliance de fait des monarchies du Golfe avec Israël pour équilibrer la puissance iranienne. L’ennemi de mon ennemi est mon ami…
L’Iran ne veut pas d’un affrontement direct avec Israël
Dans son entreprise, Téhéran a recouru au terrorisme et a apporté son soutien aux mouvements comme le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza et les Houthis au Yémen. De son côté, Jérusalem a assassiné des scientifiques et a conduit des opérations de cyberguerre pour retarder le programme nucléaire de son ennemi et a bombardé des installations iraniennes en Syrie. Dans ce contexte, l’attaque du 7 octobre a pris inévitablement une dimension bilatérale entre eux. En effet, le pays qui se targue d’armer le Hamas ne pouvait que se ranger derrière lui, quitte à apparaître comme un complice du massacre aux yeux d’Israël.
Cependant, la République islamique ne veut pas d’un affrontement direct qui l’opposerait non seulement à Tsahal mais aussi aux États-Unis qui ont placé deux groupes aéronavals en Méditerranée orientale et ont fait savoir qu’ils contribueraient dans ce cas à la défense de l’État juif. L’Iran est donc condamné à concilier le chou de la solidarité avec Gaza et la chèvre de la prudence. Il lui faut ne pas aller trop loin dans un soutien au Hamas auquel il ne peut manquer sauf à perdre la face dans la région. Des tirs sporadiques du Hezbollah et l’intervention des Houthis ont joué ce rôle jusqu’ici, non sans d’ailleurs que la presse arabe et turque ne souligne pour la ridiculiser la timidité de cette réaction.
Or, au cours des dernières semaines, l’assassinat de plusieurs dirigeants iraniens au Liban par Israël avait rendu encore plus ostensible le contraste entre une rhétorique enflammée et la retenue de la politique effectivement suivie par Téhéran. Dans ce contexte, la destruction, le 1er avril, du consulat à Damas où se trouvaient des chefs importants des Gardiens de la Révolution est sans doute apparue comme le franchissement inacceptable d’un seuil par la République islamique. Ne pas réagir aurait été subir une humiliation supplémentaire, faire étalage de sa faiblesse et ouvrir la voie à d’autres opérations encore plus dommageables.