LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. En appelant à arrêter la livraison de certaines armes à Israël, Emmanuel Macron a mis en évidence les difficultés qu’a la diplomatie française à se faire entendre.
Le président de la République a suscité une vive émotion lorsqu’il a émis l’hypothèse de cesser les livraisons d’armes à Israël tant que ne serait pas proclamé un cessez-le-feu à Gaza. Cette déclaration a non seulement provoqué une réponse insultante de Benyamin Netanyahou mais elle a conduit à une levée de boucliers parmi les défenseurs français de l’État juif.
Cet incident est révélateur des difficultés que rencontre la diplomatie française pour se faire entendre. Passons sur la date de ce discours, particulièrement mal choisie à deux jours de l’anniversaire du massacre du 7 Octobre. Le problème va bien au-delà.
l tient d’abord à la difficulté qu’ont tous les dirigeants politiques à comprendre que la cohérence d’une politique étrangère ne repose pas sur des coups de barre brutaux pour suivre les événements, mais, au contraire, sur une expression assez retenue pour s’y adapter sans volte-face. L’incertitude d’une crise aussi grave que celle que traverse le Moyen-Orient conduit soit à prendre franchement parti et à s’y tenir, soit, au contraire, à rester en retrait pour n’intervenir qu’à bon escient.
De soutien inconditionnel à embargo
Force est de constater que, depuis le 7 octobre 2023, la diplomatie française a donné l’impression d’embardées – depuis le soutien inconditionnel à Israël jusqu’à, maintenant, l’embargo sur les armes en direction de ce même pays en passant par la constitution d’une coalition internationale contre le Hamas. La guerre en Ukraine nous avait soumis à la même douche écossaise mais l’extrême sensibilité du conflit au Moyen-Orient, en politique intérieure, aurait dû être un argument supplémentaire pour éviter ces allers-retours entre des positions tranchées difficilement compatibles.
Deuxième obstacle à l’efficacité de notre politique étrangère, l’attrait pour le cavalier seul. Or, en l’occurrence, certains de nos voisins européens partagent nos inquiétudes sur la politique de Netanyahou et ont d’ailleurs parfois eux-mêmes évoqué le refus d’envoyer des armes supplémentaires à Israël. Pourquoi ne leur avons-nous pas proposé une démarche commune qui aurait donné à un éventuel embargo une tout autre signification et n’aurait pas exposé la France seule aux accusations des uns et des autres ?
Enfin, omnipotence des médias oblige, nul président de la République ne résiste au « coup », à l’effet d’annonce du journal de 20 heures. Or, une initiative diplomatique, ça se prépare. Il faut « tâter le terrain » auprès des protagonistes et adapter le langage et parfois la substance de la démarche sur la base de leurs réactions. À défaut d’annoncer la déclaration présidentielle avant qu’elle ne soit prononcée, ce qui serait l’idéal, nos ambassadeurs doivent pouvoir fournir rapidement une explication détaillée de sa signification et de ses conséquences, adaptée à chaque interlocuteur. Mis au pied du mur, sans avertissement, les pays concernés n’ont aucune raison de nous suivre dans nos errements, et pourront même faire sentir leur mécontentement de n’avoir pas été consultés alors que leurs intérêts sont en jeu.
Vanité française, obsession médiatique et narcissisme individuel
Cette évocation d’un éventuel embargo sur les armes en direction d’Israël avait le rare « mérite » de réunir ces trois défauts. Elle a donc été un fiasco en contraignant l’Élysée à un piteux rétropédalage. Or, cette initiative avait un sens. En effet, Israël est engagé dans une série d’opérations militaires dévastatrices pour les populations civiles, dont nul aujourd’hui ne peut voir l’issue. D’ailleurs, des milliers d’Israéliens manifestent régulièrement pour demander un cessez-le-feu. Les deux tiers des bâtiments de Gaza sont détruits et le Hamas contrôle toujours le territoire. Le Liban risque de subir le même sort puisque Netanyahou l’en a menacé s’il ne désarme pas le Hezbollah, ce que chacun sait impossible.
On attend, par ailleurs, les inévitables représailles israéliennes contre l’Iran. Dans ce contexte du choix par Jérusalem du tout militaire par refus d’une voie politique qui soulèverait la question de la création d’un État palestinien, face à une course en avant aux conséquences imprévisibles et alors que le Liban pays ami est menacé du pire, il est légitime pour notre pays de marquer sa préoccupation, voire sa désapprobation, par un embargo sur les armes, d’ailleurs symbolique. Encore fallait-il le faire en coordination avec le maximum de nos partenaires et l’intégrer dans une initiative politique globale qui n’en fasse pas un fusil à un coup. Ce ne fut pas le cas.
En d’autres termes, vous l’aurez compris, cet exemple rappelle qu’une politique étrangère nécessite une diplomatie qui fournisse au dirigeant non la substance de celle-ci, qui lui revient, mais la manière de la mettre en œuvre le plus efficacement possible. Ils sont rares ceux qui le comprennent et l’admettent. Persuadés que leur parole est performative, libre de tout contrôle sous la Ve République, entre vanité française, obsession médiatique et narcissisme individuel, nos présidents ne voient souvent dans les diplomates que des empêcheurs de « briller en rond » dont les délicatesses ridicules s’opposent à leurs visions audacieuses. Le journal de 20 heures fera l’affaire. Il ne reste alors au Quai d’Orsay qu’à lever les yeux au ciel et à constater le naufrage d’initiatives qui souvent ne manquaient pas d’intérêt.