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Gérard Araud – 2021, annus horribilis pour Joe Biden

5 janvier 2022 – Chronique de Gérard Araud dans le Point sur la première année de mandat de Joe Biden

La reine Elizabeth II avait qualifié 1992 d’annus horribilis après le divorce de ses enfants et l’incendie du château de Windsor. Les commentateurs américains reprennent l’expression pour Joe Biden à la fin de la première année de son mandat.

L’état de grâce n’a pas duré longtemps. Car l’enthousiasme qui a accompagné l’élection de l’ancien vice-président d’Obama йtait plus une réaction de soulagement а la défaite d’un Donald Trump qui avait divisé son pays qu’une adhésion au vainqueur.

Joe Biden n’avait été choisi que comme un candidat par défaut par la direction du Parti démocrate pour vaincre les deux porte-drapeaux de l’aile gauche du parti, Sanders et Warren, qui avaient le vent en poupe. Par une manœuvre transparente et pas très honnête, on avait convaincu les autres candidats modérés, Buttigieg et Klobuchar, de se retirer pour lui permettre d’emporter les primaires du Super Tuesday et de s’imposer ainsi face à la gauche. Or, je me rappelais les doutes que beaucoup, y compris certains de ses proches, avaient exprimés devant moi, en 2018 et 2019, à l’égard des ambitions présidentielles d’un homme que tous me disaient physiquement vieilli et politiquement usé dans le contexte d’un pays en quête de renouveau.

Les frondeurs de Biden

Pourtant, Biden s’est comporté comme s’il disposait d’un large mandat populaire alors même que les démocrates avaient perdu 15 sièges à la Chambre et que Trump n’avait raté la victoire que de 90 000 voix au collège électoral. On le qualifiait de « nouveau Roosevelt », on voyait l’aube d’un « New Deal » alors que cet illustre modèle avait pris le pouvoir avec une large majorité dans le pays et dans les deux chambres. Joe Biden ne voulait pas être un président de transition alors que les circonstances lui permettaient d’être beaucoup plus que cela. Certes, il a réussi à faire voter un nouveau plan de relance, mais pour faire de même avec un grand programme d’infrastructures, il a dû longuement batailler non pas tant avec les républicains qu’avec des démocrates divisés entre modérés et une aile gauche. Or, voilà qu’après des mois de négociation, un sénateur démocrate de Virginie-Occidentale vient apparemment de porter le coup de grâce au projet de grand programme de dépenses sociales qui devait suivre. Dans les deux cas, l’image qui en ressort est celle d’une administration aux prises avec sa propre majorité sous le regard goguenard des républicains qui n’ont même pas à faire preuve de leur intransigeance pour voir leurs adversaires se prendre les pieds dans le tapis.

Débâcle à Kaboul, divisions et échec au Congrès, voilà le spectacle qu’offre l’administration Biden au pays. S’y ajoute un soutien un peu trop appuyé au wokisme, cette fièvre identitaire de gauche, qui exaspère une partie de l’électorat blanc modéré et que dénonce sans cesse la presse conservatrice. Et comme la chance compte autant que le talent pour conduire au succès, Biden paie injustement le prix de l’inflation et de l’épidémie qui font rage dans le pays. La première plus forte qu’en Europe inquiète l’opinion publique. C’est du pain bénit pour les républicains qui en font porter la responsabilité à leurs adversaires alors qu’elle doit beaucoup aux plans de relance qu’ils ont eux-mêmes votés sous Trump. La seconde entretient incertitudes et tensions dans une population où la vaccination continue de susciter de vives résistances à l’extrême droite et où le fédéralisme limite les pouvoirs de Washington.

Centriste égaré

Dans cette mauvaise passe, Joe Biden reste égal à lui-même. Il répand à profusion les platitudes sentimentales, mais les Américains, qui ont pourtant une faiblesse pour cet exercice, attendent de leur président de n’être pas seulement un grand-père bienveillant, mais aussi, et surtout, un « commandant en chef » qui guide le pays d’une main ferme. C’est peu de dire que Joe Biden n’offre pas cette image. Nul ne peut d’ailleurs imaginer qu’il se représente en 2024. Dans un système présidentiel, la conséquence en est une administration qui paraît hésitante et sans ligne directrice.

Les démocrates sont donc plongés dans des angoisses pré-électorales. Pour novembre 2022 d’abord : ils savent que difficultés politiques, inflation, Covid et charcutage électoral dans les États républicains risquent de leur coûter cher, en particulier à la Chambre où tous les sondages prévoient qu’ils perdent la majorité. Face à l’intransigeance de l’opposition, l’administration en serait alors paralysée. Ce serait dans les faits la fin de la présidence Biden. Mais, déjà, on pense à 2024 d’autant que la candidate a priori légitime, l’actuelle vice-présidente, ne convainc personne à Washington. Kamala Harris non seulement s’est en effet révélée incapable d’assurer la liaison entre la Maison-Blanche et les groupes démocrates au Congrès, mais elle s’est déjà fait de nombreux ennemis en raison de son agressivité.

Centriste égaré dans un pays radicalisé, Joe Biden était confronté à un défi de taille, réapprendre aux Américains à travailler ensemble dans un système politique qui ne fonctionne qu’à cette condition. Il n’y est pas parvenu, c’était sans doute une tâche surhumaine, car il lui manque la légitimité, le charisme et l’énergie nécessaires. Rien n’est joué mais Trump piaffe en coulisse…

Le Point

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