23 janvier 2022 – Chronique de Gérard Araud dans Le Point :
Le monde attendait « le retour de l’Amérique » après la victoire de Joe Biden, mais le « nйo-isolationnisme » règne toujours а Washington.
l y a un an, le monde apprenait, avec soulagement, qu’il était débarrassé des foucades de Donald Trump. Les Européens, en particulier, se réjouissaient du départ d’un président qui avait remis en cause l’Otan, avait imposé des droits de douane sur leurs exportations, avait fait de l’UE un adversaire à abattre et avait allègrement piétiné toutes leurs vaches sacrées, de l’ONU au droit international. Avec Joe Biden, tout devait rentrer dans l’ordre. Certes, le langage de Washington a retrouvé des accents connus, pleins d’un respect rhétorique pour la coopération internationale et les engagements des États-Unis, mais qu’en est-il en substance ?
Les Européens ont d’abord découvert que Joe Biden, comme Obama et Trump avant lui, considère que la priorité de la politique étrangère de son pays doit être l’Asie, où sont les potentialités de croissance mais aussi de conflit avec l’émergence de la Chine. Ils se sont retrouvés dans la posture désagréable du bon élève qui essaie d’attirer l’attention d’un instituteur désormais indifférent. Biden les abreuve de ses platitudes préférées et Blinken de ses banalités distinguées, mais leur font comprendre qu’ils n’attendent qu’une chose de l’Europe, c’est de pouvoir s’en désintéresser. C’est d’ailleurs le message que Biden avait transmis à Poutine, qui y a vu l’occasion de pousser agressivement ses pions. Paradoxalement, Trump et Biden nous amènent au même scénario, à une négociation directe entre Washington et Moscou dont l’enjeu est une Europe réduite au rôle d’observateur.
Ensuite, les Européens espéraient que les États-Unis et la Chine parviendraient à un modus vivendi. Or, si Xi Jinping et Joe Biden ont tenu un sommet virtuel, pour l’instant, on est loin d’une relation stable entre les deux pays. Les États-Unis mettent en place des coalitions et des coopérations dans la région Asie-Pacifique, comme nous l’avons appris à nos dépens en Australie, mais cette politique d’endiguement à tonalité militaire ne s’est pas encore doublée d’un dialogue approfondi avec la Chine. Or les pays comme l’Indonésie, la Thaïlande, les Philippines ou le Vietnam, s’ils sont préoccupés par le déploiement de la puissance chinoise, ne veulent pas être embrigadés dans ce qui ressemblerait à un camp antichinois. En réalité, Biden, comme Trump, gère la relation sino-américaine comme si elle était à la fois bilatérale et conflictuelle, mais, lui, il le fait en payant de mots aimables les autres acteurs régionaux.
Les alliés de l’Amérique ne comptent pas beaucoup
Enfin, les Européens, qui reculent, pour la plupart, devant tout effort de défense et encore plus devant tout recours à la force, se réjouissaient du retour du leadership américain pour assurer leur sécurité. Ils découvrent que, comme Obama et Trump avant lui, Biden représente un pays las des aventures militaires qui rêve de ramener les légions chez elles et de laisser le reste du monde se débrouiller comme il peut. Le retrait d’Afghanistan reflète ce consensus national. Il avait été préparé par Trump et il a été mis en œuvre sans états d’âme par son successeur. Une autre leçon à en tirer est que, pour Trump ou Biden, les alliés ne comptent pas beaucoup à Washington.
D’ailleurs, aujourd’hui, alors que la Russie menace l’Ukraine d’une invasion et l’Europe du feu du ciel, les États-Unis répliquent en évoquant, en cas d’agression, une réaction « dévastatrice », dont ils s’empressent d’ajouter qu’elle ne serait pas militaire. Bien plus, ils se dépêchent de s’enquérir des concessions qui pourraient calmer les colères russes : Blinken se précipite à Genève pour rencontrer son homologue et le directeur de la CIA se rend à Moscou, pour la seconde fois en trois mois, pour la même raison.
Sur le reste, pas grand-chose, voire rien. Le conflit israélo-palestinien a disparu des écrans et des discours. La négociation pour le retour à l’accord nucléaire avec l’Iran est embourbée, autant du fait des méfiances iraniennes que de la marge de manœuvre réduite de l’administration face au lobby anti-iranien au Congrès. En Afrique, en Amérique latine, pas de politique identifiable, beaucoup de discours aux idéaux estimables, mais peu de concrétisations. Requis pour noter de A à F la politique étrangère de Joe Biden dans tous les domaines par le magazine américain Foreign Policy, trente experts internationaux ont répondu en grande majorité en lui donnant des B et des C, ce qui n’est pas brillant, en particulier lorsqu’on se rappelle les attentes qu’elle avait suscitées.
En réalité, ce sont ces attentes excessives plus que la politique elle-même qui devraient surprendre. Une erreur commune est d’attribuer l’orientation générale d’une politique étrangère au dirigeant du moment, alors qu’elle lui est largement imposée par l’histoire, la géographie, la puissance relative et l’opinion publique. Si différents soient-ils dans leur caractère et leurs méthodes, Obama, Trump et Biden représentent le même pays tenté par le néo-isolationnisme et le protectionnisme, inquiet de l’ascension de la Chine et fidèle à son unilatéralisme traditionnel. Biden s’inscrit dans cette continuité. Son successeur fera de même. À nous de nous y adapter.
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