CHRONIQUE. Aux États-Unis, on redoute que le scrutin de 2022 puis la présidentielle de 2024 ne soient entachés de violences tant le pays est polarisé.
Le retour aux États-Unis après une longue absence, j’ai retrouvé mes amis américains dans une triste humeur face à une situation économique et politique où plus rien ne semble aller. Certes, la croissance est de retour et le plein-emploi est assuré, mais l’inflation paraît échapper à tout contrôle puisqu’elle atteint aujourd’hui un taux annuel de 7,9 %. Le secteur le plus atteint, comme en Europe, est celui de l’énergie et fait la une de tous les médias dans un pays habitué à un carburant bon marché, dont le coût moyen à la pompe a augmenté en moyenne de 45 % en un an. Il est alors injuste mais facile à l’opposition républicaine de l’imputer à l’administration Biden, notamment à sa législation protectrice de l’environnement qui a arrêté les projets d’oléoduc et a rendu difficiles la prospection et l’exploitation de nouveaux champs gaziers.
La banque centrale, la Fed, a dû annoncer qu’elle entamait une augmentation de ses taux, qui va se poursuivre tout au long de l’année, mais se pose la question de savoir si elle ne va pas entraîner ainsi le pays dans une récession alors que les circuits économiques qui ont été déréglés par le Covid n’ont pas retrouvé leur équilibre.
Inflation galopante, mais aussi explosion de la criminalité alors qu’on croyait l’avoir éradiquée au cours des trente dernières années. New York était plus sûre que Paris ou d’autres villes européennes et voilà qu’en 2020 le nombre des meurtres y a augmenté de 41 % (30 % pour l’ensemble du pays), et encore de 4 % en 2021. 485 meurtres en 2021 pour 297 en 2017. La tendance est générale dans toutes les grandes villes du pays. L’insécurité y redevient un sujet d’inquiétude, même si on est encore bien au-dessous des chiffres des années 1980.
Mais l’inquiétude devient de l’alarme lorsque la polarisation du pays transforme la perspective de ce qui ne serait qu’une alternance normale dans un pays démocratique en un nouvel épisode de la guerre civile virtuelle que connaissent les États-Unis depuis l’élection de Donald Trump en 2017. Virtuelle jusqu’ici, me disent mes interlocuteurs, qui constatent la violence du débat politique. Familles et amitiés n’ont pas résisté à une coupure désormais irrémédiable entre deux camps qui ne se parlent plus et se vivent comme des ennemis.
L’inquiétude du New York Times
Au sein du Parti républicain, le camp trumpiste l’a emporté et y entretient les théories du complot les plus absurdes, du vaccin à l’Ukraine. Les élus les plus ambitieux s’y vautrent avec délectation. Les écouter, c’est vivre dans un monde parallèle où les affirmations les plus folles sont reprises sans nuance et où l’adversaire n’est que corruption et mensonges. Chez les démocrates, les modérés sont, comme d’habitude, impuissants face à cette outrance. De son côté, la gauche se perd dans des batailles identitaires qui non seulement ne correspondent pas aux préoccupations quotidiennes des classes populaires mais vont aussi à l’encontre de ses convictions : il est difficile de lui faire accepter qu’un transgenre puisse concourir comme une femme dans une compétition sportive et l’emporte. C’est pourtant le type de débat que suscite la gauche et qui fait évidemment les délices des médias conservateurs.
Le New York Times, le porte-parole officieux du centre gauche américain, en est venu à publier un éditorial pour s’inquiéter de l’avenir de la liberté d’expression dans le pays, mais, à l’indignation de la gauche, il a non seulement mis en cause l’extrême droite qui « purifie » les bibliothèques de tout ce qu’elle n’aime pas mais aussi l’extrême gauche qui, en particulier dans les universités, fait taire les voix dissidentes. Dans ce vacarme médiatique, Joe Biden est largement inaudible. Il offre trop l’image de l’âge pour s’imposer comme le commandant en chef dont le pays a besoin. Ses discours pleins de bonnes intentions et de bons sentiments « n’impriment »’ pas. Ses lapsus, hier charmants, deviennent inquiétants.
Le président américain n’a pas réussi à maintenir l’unité du Parti démocrate, qui se déchire, entre modérés et gauche, sous les yeux des médias. Or, derrière l’élection de 2022, il y a celle, autrement importante, de 2024. Que le sortant se représente paraît exclu vu son âge. Mais la vice-présidente, Kamala Harris, ne convainc personne. Aucun candidat crédible n’apparaît aujourd’hui du côté démocrate alors qu’en face Trump se prépare à prendre sa revanche ou, qu’à défaut d’autres républicains, comme DeSantis, le gouverneur de Floride, ou Cruz, sénateur du Texas, se tiennent en réserve. En tout cas, nul doute que l’élection présidentielle de 2024 sera un moment d’extrême tension. Tous mes interlocuteurs, quelle que soit leur orientation politique, craignent que la violence n’y joue un rôle.
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