CHRONIQUE. La crise politique britannique suivie de l’arrivée à Downing Street de Rishi Sunak démontre que le Brexit était une impasse.
Evidemment que la crise politique britannique est la conséquence directe du Brexit !
Elle met en évidence les contradictions qui mènent aujourd’hui le Royaume-Uni dans une impasse. En effet, la majorité, qui a décidé, en juin 2016, du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, n’était unie que sur cet objectif, car profondément divisée sur tout le reste, en particulier savoir que faire de ce Brexit. Quitter le plus grand marché au monde et refuser la notion d’un rapprochement progressif des pays européens ne sont pas des détails, mais des choix fondamentaux de société. Encore faut-il savoir où on veut aller. Depuis 2016, le pays est incapable de répondre à cette question.
En effet, grossièrement, la majorité qui a voté pour le Brexit se divise en deux blocs, l’un qui voulait se débarrasser de la réglementation de l’UE et l’autre qui voulait protéger l’économie britannique d’une ouverture à la concurrence et à l’immigration. D’un côté, les adeptes inconditionnels du libre-échange, prêts à faire de leur pays un « Singapour-sur-Tamise », quitte à détricoter l’appareil réglementaire mis en place par l’UE pour défendre le consommateur ; de l’autre, les victimes de la mondialisation – nos Gilets jaunes pour faire bref – , qui veulent défendre leur emploi contre l’immigré ou contre les importations en provenance de Chine. La contradiction est absolue entre les uns et les autres : les uns veulent ouvrir grandes les frontières ; les autres, les fermer. Le génie de Boris Johnson fut de dissimuler cette opposition et de remporter les élections législatives en maintenant unie cette coalition du Brexit. On lui reproche d’être un menteur invétéré et de dire tout et l’inverse, mais c’était la seule manière de surmonter l’aporie qui est au cœur du projet de Brexit. Cela étant, ce n’était que reculer pour mieux sauter. Tôt ou tard, il fallait bien choisir : déréguler ou protéger.
La direction du Parti conservateur était à l’évidence plus proche des dérégulateurs que des protectionnistes, de la City de Londres que des friches industrielles des Midlands. Liz Truss avait donc levé l’ambiguïté et s’était engagée avec détermination dans cette voie. Réduire les impôts – en particulier des plus riches – n’était qu’une première étape dans un choix résolument néolibéral. Dérégulation et ouverture des frontières allaient suivre, annonçait le chancelier de l’Échiquier. Le Royaume-Uni a alors découvert qu’il n’a pas les moyens de susciter la méfiance des marchés financiers qui ont négativement réagi à cet accroissement subi d’un déficit budgétaire déjà préoccupant après la crise du Covid. La débâcle monétaire qui a suivi a amené au pouvoir un Premier ministre qui incarne, au contraire, l’orthodoxie économique qui ne se permettra aucune aventure. Les impôts vont être augmentés, les dépenses réduites et les relations avec l’Union européenne pacifiées.
Que signifie la victoire de M. Sunak ?
Les prédécesseurs de M. Sunak ne cessaient de menacer de remettre en cause le protocole qui régit le cas particulier de l’Irlande du Nord après Brexit. Mme Truss s’interrogeait publiquement pour savoir si M. Macron était « un ami ou un adversaire ». Dès sa prise de fonctions, le nouveau Premier ministre a mis de l’eau dans son vin. Sa rhétorique est beaucoup plus modérée ; sa première conversation téléphonique avec le président français presque chaleureuse. Nul n’imagine qu’il ne lance une guerre commerciale avec le principal partenaire de son pays. Il sait qu’il n’en pas les moyens.
Que signifie la victoire de M. Sunak ? D’abord, c’est la défaite des partisans du Brexit des deux camps. Le Brexit vient de faire pschitt… Le Royaume-Uni ne connaîtra donc ni retour au protectionnisme ni déréglementation sauvage. Le premier est contraire aux intérêts de la Cité de Londres ; la seconde se heurte à une opinion publique qui est malgré tout plus proche des Européens que des Américains en étant attachée à la défense de son système socialisé de santé et au maintien d’une réglementation forte pour la protection des consommateurs. Ne reste alors que le conservatisme le plus classique que représente M. Sunak, fait d’austérité budgétaire et de soutien aux entreprises.
Mais le nouveau Premier ministre risque de se heurter à un double obstacle : à l’intérieur, il décevra les électeurs du Parti travailliste qui avaient rejoint les torys aux dernières élections législatives pour suivre la politique inverse de celle qu’il annonce, celle que prétendait porter Boris Johnson ; à l’extérieur, le seul choix qui s’offre à lui est désormais l’immobilisme, c’est-à-dire ne pas toucher à une réglementation qui est largement d’origine de l’UE pour conserver l’accès au premier marché à l’exportation du pays. En d’autres termes, le Royaume-Uni ne sera qu’un satellite de l’Union européenne. Il en suivra la législation sans avoir son mot à dire tout en en subissant les tracasseries douanières. Le Brexit était bel et bien l’impasse que dénonçaient ses adversaires. Le Royaume-Uni ne subira sans doute pas le désastre que ceux-ci prédisaient, mais il y perdra paradoxalement une part de son indépendance.