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Télégramme: « Histoires diplomatiques »

« Histoires diplomatiques ».

Dans cet essai, l’ancien ambassadeur Gérard Araud, à partir d’un vaste panorama des grands moments de la vie diplomatique internationale, propose quelques enseignements majeurs toujours d’actualité.

Au terme d’une carrière diplomatique durant laquelle il a notamment occupé le poste d’ambassadeur à New York (auprès de l’ONU), puis à Washington, ce qui a contribué à sa réputation de défenseur de la ligne néoconservatrice, ce dont il se défend, Gérard Araud a publié un livre de souvenirs, puis une biographie plutôt bienveillante de Henry Kissinger.

Avec son nouvel ouvrage, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il élargit grandement sa perspective. C’est, en effet, une ambitieuse analyse historique qu’il propose. Avec une observation posée d’entrée : « Mes quarante années de carrière diplomatique m’ont convaincu que, quels que soient le siècle et le régime politique, ce sont les mêmes ambitions, les mêmes peurs et les mêmes réactions qui s’expriment dans l’élaboration et la conduite des politiques étrangères des États. »

Avec lui, nous faisons donc un saut en arrière, jusqu’à Louis XIV que les circonstances conduisent à installer un de ses descendants sur le trône d’Espagne, au tout début du XVIIIe siècle. Ce qui ne suffira pas à éviter les guerres entre les puissances européennes durablement antagonistes. Viennent ensuite la Révolution, la période Napoléonienne, celle de Napoléon III, puis les deux guerres mondiales, en passant par le traité de Versailles, dont l’auteur conteste d’ailleurs les conséquences délétères qui lui sont souvent imputées, jusqu’à la désolante expédition de Suez et à la guerre en Irak.

Fort de sa brillante revue des évènements, qu’il propose comme « un manifeste du réalisme en politique étrangère », Gérard Araud ne manque pas de proposer quelques utiles enseignements. « La voix du diplomate, » observe-t-il notamment, « est souvent couverte par l’indignation. Quoi qu’il fasse, il n’a aucune chance lorsqu’il invoque la raison pour écarter les sentiments. Il a perdu d’avance ». Ou encore : « Méfions-nous de la militarisation de la politique étrangère. Le Royaume-Uni et la France en ont fait l’expérience à Suez ; les États-Unis en sont aujourd’hui la preuve, de l’Irak à l’Afghanistan ; dans le Sahel, la France était en voie de le devenir. Espérons qu’elle se tire au mieux du piège. Le recours à la force est un instrument primitif qui permet rarement d’atteindre des objectifs politiques complexes ».

Plus contemporain est le scepticisme de l’auteur s’agissant des sanctions économiques et financières infligées à tel ou tel pays. Selon lui, « à l’exception de l’Afrique du Sud de l’apartheid, qui était isolée du monde entier, aucun pays n’a jamais cédé à la pression des sanctions mais qu’importe puisque leur objet réel est de donner satisfaction à moindre coût aux opinions publiques et non changer les choses ». Ce qui le conduit à considérer, s’agissant de la guerre qui occupe notre actualité : « Rien n’excuse l’invasion de l’Ukraine mais elle n’est pas entièrement inexplicable. Il était sans doute possible de concilier élargissement de l’Otan à des pays qui le réclamaient et de bonnes relations avec la Russie. Encore fallait-il définir une architecture européenne de sécurité qui fasse sa place à celle-ci ».

Ainsi, pour ambitieux et probablement lucide que soit son propos, Gérard Araud en revient à un postulat qui n’est pas de nature à nous rassurer, si l’on considère l’équilibre actuel des forces dans le monde. En effet, résume-t-il, « La paix règne soit lorsque s’établit un équilibre entre puissances, soit lorsqu’une d’entre elles est capable d’imposer son hégémonie que nul n’ose contester ». Encore faut-il s’entendre sur les facteurs constitutifs de cette puissance. La prédominance que l’on pourrait reconnaître à l’économie ou au culturel, est gravement compromise par la prolifération nucléaire. Un sujet que Gérard Araud aura peut-être l’occasion d‘évoquer dans un prochain essai.

Télégramme – La chronique de Stéphane Bugat