CHRONIQUE. Le Brexit l’a prouvé, l’UE ne peut exister que si l’ensemble des membres en accepte les règles et le coыt. La France est prévenue.
À l’approche des élections législatives, une coalition de partis de gauche a inclus dans sa plateforme commune la nécessité de « désobéir à l’Europe » dans un certain nombre de domaines. Les porte-parole du principal parti, La France insoumise, citent pêle-mêle les règles de la concurrence, le libre-échange, l’environnement, l’euro.
Remarquons d’abord le recours au mot « l’Europe » comme une entité extérieure à la France qui lui imposerait ses volontés contre lesquelles il faudrait se révolter. Cette formulation fautive n’est d’ailleurs pas propre à la gauche. Elle revient régulièrement à l’extrême droite, voire chez les journalistes. Ainsi, entend-on nous expliquer que « Mme von der Leyen a annoncé des sanctions contre la Russie » comme si elle venait de les décider. Or, la France n’a pas délégué sa souveraineté à l’Union européenne. Revenons sur les sanctions contre la Russie : une majorité d’États a demandé à la Commission de les préparer, mais elles doivent ensuite être approuvées à l’unanimité pour être mises en œuvre. Toute décision de l’UE nécessite l’approbation des États et du Parlement, se fatigue-t-on à répéter.
En d’autres termes, lorsque M. Mélenchon dit qu’il faut « désobéir à l’Europe », il affirme, en réalité, d’abord qu’il faut désavouer ce que tous les gouvernements français précédents ont approuvé à Bruxelles, ensuite qu’il faut violer un traité ratifié par la France qui prévoit la mise en œuvre commune des textes communs et, enfin, qu’il faut entrer en conflit avec nos vingt-six partenaires. En effet, nul ne peut raisonnablement penser que ceux-ci vont rester silencieux lorsqu’ils verront un État aussi important que la France ne pas respecter le Traité. L’Union européenne, qui n’a ni territoire ni population, n’est qu’un ensemble de normes que ses membres se sont engagés à mettre en œuvre.
Une Union à la carte ?
Un texte de l’Union européenne doit s’imposer à tous les États membres, ou alors il n’y aurait pas d’Union si chacun pouvait choisir les obligations qui lui conviennent et refuser celles qui lui déplaisent. Une union à la carte n’est plus une union. C’est ce que n’avait pas compris le Royaume-Uni qui a cru, au moment des négociations du Brexit, qu’il pourrait conserver les avantages à ses yeux du Marché unique, la libre circulation des biens et des capitaux, sans les inconvénients, celle des personnes. Il s’est alors heurté à un front uni de tous les États membres qui y ont vu une tentative de « détricoter » le Marché unique qu’ils considèrent comme le cœur même de l’Union.
Pour nos partenaires, les « quatre libertés » – libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes – sont indissociables pour la simple raison que chaque pays attache plus d’importance à l’une ou à l’autre. On ne peut donc en affaiblir une sans porter atteinte aux intérêts d’un État membre. En refusant la libre circulation des personnes, Londres s’aliénait des pays qui lui étaient pourtant proches, comme la Pologne et la Hongrie, dont les ressortissants s’installent souvent dans un autre pays européen. Si la France s’attaquait au libre-échange des biens, comme la coalition de gauche semble prête à le faire, d’une part, elle trouverait sur son chemin nos principaux fournisseurs, Allemagne et Italie notamment, mais on imagine facilement que nos partenaires pourraient alors bloquer des exportations françaises sous divers prétextes. Ce serait la fin du Marché unique, qui est essentiel pour nos entreprises.
Gallocentrisme
Dans ce contexte, si le gouvernement français qui résultera des prochaines élections législatives veut modifier une ou plusieurs politiques suivies par l’Union, il doit d’abord s’assurer du soutien d’autres pays membres et ensuite demander à la Commission de préparer un texte qui reflète ses propositions mais qui, pour être accepté, doit également satisfaire nos partenaires. L’Union européenne, c’est la recherche permanente d’accords entre des États qui ont des intérêts et des visions souvent différents et parfois divergents. À chacun d’y défendre ses intérêts et d’y faire entendre sa voix. Cette nécessité exige de faire preuve de qualités bien peu françaises d’écoute, d’empathie et de compromis et de sortir de ce gallocentrisme qui caractérise notre classe politique où l’on parle rarement une langue étrangère et où l’on s’intéresse bien peu aux autres.
Au fond, l’Union européenne, c’est assez simple. Au-delà des enthousiasmes des uns et de l’horreur des autres, elle n’est qu’une structure de coopération fondée sur une constatation de bon sens. Étant donné leur taille, les pays européens ont intérêt à mettre en commun leur capacité d’action. Un marché de 500 millions de consommateurs est bon pour notre économie et, à l’extérieur, l’Union pèse plus que chacun de ses États membres lorsque, par exemple, il faut réguler le commerce, réglementer le cyberespace, défendre nos valeurs ou lutter contre le changement climatique face aux États-Unis, à la Chine et à l’Inde. Mais l’Union ne peut exister que si on en accepte les règles et le coût, mais aussi si on en mesure la fragilité. Les vieux États qui la constituent ne demanderaient qu’à reprendre leur liberté si on leur en donnait l’occasion à un moment où se réveillent partout les vieux démons du nationalisme et donc de la guerre. N’oublions pas les leçons de l’Histoire !