16 janvier 2022 :
CHRONIQUE. Sous l’influence de Donald Trump, la droite américaine s’est déchirée avant de parvenir à se doter d’un leader à la Chambre des représentants.
Le résultat médiocre des républicains aux élections de mi-mandat en novembre avait conduit les conservateurs classiques au sein du parti à en rendre responsable Donald Trump, qu’ils accusaient d’avoir souvent fait désigner – ou soutenu – des candidats si extrêmes qu’ils en étaient inéligibles.
Il est vrai qu’ils pouvaient estimer que, avec la réélection triomphale de Ron DeSantis comme gouverneur de Floride, ils avaient enfin un champion à lui opposer pour l’élection présidentielle de 2024. Trump n’étant pas du genre à calmer le jeu, il était prévisible que le camp républicain se divise entre ses partisans, en général proches de l’extrême droite, et ses adversaires qui, s’ils sont loin d’être eux-mêmes des modérés sur le fond, n’en respectent pas moins les formes d’une démocratie représentative que l’ancien président méprise, comme le prouve son refus d’admettre sa défaite en 2020.
La guerre civile a éclaté chez les républicains encore plus vite qu’on ne s’y attendait. Alors que la nouvelle Chambre n’était pas encore intronisée, une vingtaine d’élus parmi les plus radicaux à droite ont envoyé une lettre au chef de la minorité républicaine du Sénat pour le menacer de ne plus jamais soutenir ses projets de loi s’il s’entêtait à approuver un compromis budgétaire, qu’il a négocié avec l’administration Biden pour un programme de grands travaux.
Mitch McConnell n’a pas flanché. En quelques jours, il est donc devenu la bête noire des trumpistes sur les réseaux sociaux avec les encouragements publics de leur grand homme. Ce n’était que le prélude de ce qu’on hésite à qualifier de drame ou de tragicomédie : la même vingtaine d’élus de droite a ensuite refusé d’apporter leur voix à Kevin McCarthy le candidat de leur parti à la présidence de la Chambre, qui ne l’a finalement emporté qu’après le 14e scrutin.
Extrémisme antiélitiste et nationaliste
Sous les yeux ravis des démocrates, les républicains ont offert, durant quatre jours, le spectacle de leurs divisions acrimonieuses. En une occasion, devant les caméras, il a même fallu séparer deux parlementaires qui allaient en venir aux mains. McCarthy était accusé d’être trop accommodant par des représentants qui affirment que leur objectif est de mettre un terme à toute coopération, quelle qu’elle soit, avec l’administration et surtout de déclencher une procédure de destitution à l’encontre de Joe Biden.
Fous d’armes avec lesquelles ils essaient régulièrement de venir au Congrès, adeptes de toutes les théories du complot, ne reculant devant aucune exagération, ignorants du vaste monde et fiers de l’être, ils suscitent facilement par leurs outrances l’incrédulité des observateurs européens qui oublient que le continent américain a toujours abrité un extrémisme antiélitiste et nationaliste.
Toujours est-il que les républicains s’inquiètent aujourd’hui de l’image qu’ils ont offerte à l’opinion publique. Même sur la chaîne conservatrice Fox News, les commentateurs proches de l’extrême droite ont rapidement appelé à l’élection de Kevin McCarthy. Un de ceux-ci, Sean Hannity, en est venu à contredire publiquement une représentante intransigeante, Lauren Boebert, qu’il chouchoutait jusqu’ici, en l’accusant de lui répondre comme une « libérale », ce qui est, sur ses lèvres, l’insulte suprême.
Donald Trump lui-même est sorti de son silence pour estimer qu’il fallait sortir de l’impasse en se ralliant au candidat de la majorité. Rien n’y a fait. Les « vingt » ont campé sur leurs positions et ont infligé humiliation sur humiliation à McCarthy qui pourtant avait multiplié les concessions en leur faveur. Il était clair que la confrontation ne portait plus sur la présidence de la Chambre elle-même, mais sur les rapports de force au sein du parti.
L’extrême droite essaie d’imposer son idéologie à celui-ci afin de le mettre en ordre de bataille derrière Trump pour les élections présidentielles de 2024. Il reste à savoir quelles seront les conséquences de son coup de force. Elle a apparemment obtenu des garanties sur le fonctionnement interne du groupe parlementaire, qui devraient lui permettre d’imposer sa ligne sur certains sujets. Mais ce succès peut se retourner contre elle et par contrecoup contre son candidat. En effet, non seulement, les révoltés ont révélé qu’ils ne représentent qu’une faible minorité mais ils ont ouvert des hostilités où ils trouveront en face d’eux tout l’appareil de leur propre parti et ses principaux donateurs.
Les couteaux sont donc tirés à droite et on ne les rangera pas de sitôt. La minorité trumpiste ne renoncera pas à ouvrir la voie à son grand homme et pratiquera une surenchère dont elle peut escompter qu’elle satisfait les militants du parti parmi lesquels l’ancien président est toujours aussi populaire. Après tout, ce seront eux qui feront les primaires.
Attendons-nous à tous les dérapages contre Biden directement via une demande de destitution ou par le biais d’une mise en cause de son fils qui collectionne les « casseroles » ; le tout sous l’œil désapprobateur d’une majorité républicaine qui pense que Trump ne peut pas être réélu mais qui ne pourra s’opposer à ces va-t-en-guerre sauf à encourir l’accusation mortelle à droite de « collusion » avec les démocrates. De leur côté, ceux-ci se taisent ou font mine de regretter les péripéties à la Chambre. Il est vrai qu’ils ont eu l’agréable impression de voir leurs adversaires se suicider en direct.