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Faut-il regretter la « politique arabe » de la France ?

LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. Une note rédigée par des ambassadeurs français au Moyen-Orient a critiqué la politique étrangère de Macron, jugée déséquilibrée en faveur d’Israël.

Des ambassadeurs français basés au Moyen-Orient auraient envoyé au Quai d’Orsay une note pour critiquer la politique étrangère d’Emmanuel Macron, qui serait déséquilibrée au profit d’Israël. C’est l’occasion de demander ici ou là : quid de « la politique arabe de la France », de glorieuse mémoire ? Rappelons d’abord que, comme l’adjectif l’indique, « la politique arabe » elle-même n’était en rien « équilibrée », en tout cas pas aux yeux d’Israël, qui la jugeait inamicale à son égard et s’opposait donc avec succès à ce que notre pays ait le moindre rôle opérationnel dans les négociations de paix. Nous étions donc limités à un rôle déclaratoire qui satisfaisait notre ego mais qui n’avait guère d’influence sur la réalité. Est-ce le moment d’y revenir ?
Le général de Gaulle disait : « On peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais quoi ? Il n’y a pas de politique qui vaille, en dehors des réalités. » Je pense que certains de mes anciens collègues devraient méditer ce rappel. Leur critique me paraît marquée du sceau de la nostalgie pour ce Moyen-Orient où on parlait un français délicieux au Liban, où nous recevions solennellement Yasser Arafat à Paris et où nous nourrissions l’illusion charmante de peser. Or, le monde dans lequel se déployait cette diplomatie n’est plus. La politique étrangère, ce n’est pas la mise en œuvre d’une doctrine, c’est l’adaptation pragmatique aux conditions du moment. Changent-elles qu’il est indispensable que celle-ci en fasse autant pour rester pertinente.

Cris d’orfraie

Par ailleurs, le Moyen-Orient est le paradis de la realpolitik. Il y a, d’un côté, le discours unanimiste autour des thèmes ressassés de l’unité et de la solidarité arabes et, de l’autre, la réalité glaciale de la défense la plus égoïste des intérêts nationaux, qui n’a que faire de ces vieilles lunes. Ce serait naïveté que de prendre au sérieux le premier et erreur que de ne pas voir la seconde. Le conflit actuel autour de Gaza en est la meilleure illustration. Qu’ils sont émouvants, les cris d’orfraie qu’on entend aujourd’hui dans les capitales arabes autour des souffrances de la population civile, mais qu’ils sont creux ! En réalité, au-delà de déclarations pour répondre aux émotions des opinions publiques, la plupart des pays arabes de la région qui considèrent le Hamas comme leur ennemi se féliciteraient qu’Israël parvienne à l’éradiquer.
Si on se rappelle les méthodes de Bachar el-Assad en Syrie ou des Saoudiens au Yémen, on imagine aisément que ce n’est pas la brutalité de l’intervention israélienne qui les émeut. J’espère que nos ambassadeurs ne prennent pas au sérieux ces larmes de crocodile. D’ailleurs, lorsque la Ligue arabe a tenu un sommet sur Gaza le 11 novembre, elle n’a pris aucune mesure contre Israël, même pas le rappel des ambassadeurs qui y sont accrédités. Dans ce contexte, la politique française – dont la mission n’est pas d’être le porte-parole de la rue arabe, mais qui vise à entretenir des relations confiantes avec les États – a répondu aux réalités du moment et pas au fantôme d’une politique d’un autre temps. Dans les faits, elle n’est ni plus ni moins pro-israélienne que celle des pays arabes de la région.

Devrait-elle être plus arabe qu’eux ?

Aujourd’hui, la question palestinienne est de retour sur la table, mais force est de
constater que nul pays ne paraît prêt et capable de s’en saisir. C’est à ce problème que devrait s’atteler notre diplomatie, et non à rallumer des ardeurs qui ne sont plus. Sommes-nous capables d’approcher discrètement les acteurs internationaux pour les sonder sur leurs dispositions à participer à un effort concerté pour relancer un processus de paix dont l’attaque du 7 octobre a prouvé la nécessité ? Sommes-nous capables de montrer la créativité nécessaire pour leur proposer des pistes de travail autour, par exemple, de l’émergence d’un nouveau leadership palestinien ou des garanties de sécurité à accorder à Israël ? Savons-nous passer des principes à leur mise en œuvre pragmatique ? Il y a là un « vaste programme », dirait le général, un programme dont la diplomatie française devrait se saisir, même si son génie est de dire le droit plutôt que de faire bouger les choses.

LE POINT