You are currently viewing Gérard Araud – À Washington, Macron et le gaullisme 2.0

Gérard Araud – À Washington, Macron et le gaullisme 2.0

A partir de ce mardi 29 novembre, le président de la République sera aux États-Unis en visite d’État, c’est-à-dire qu’il y sera accueilli en grande pompe, comme le prévoit cette occasion solennelle.

En effet, il ne s’agit pas seulement d’une rencontre entre les deux chefs d’État mais d’une manifestation de l’estime particulière que porte l’hôte à son visiteur et à son pays en entourant cette venue de toutes les marques de respect extérieur que peut prévoir le protocole.

Le moment n’est sans doute pas de le rappeler, mais, sous Donald Trump, Emmanuel Macron a déjà effectué, en avril 2018, une visite d’État à Washington où je l’avais reçu. Je ne pense pas, sauf erreur de ma part, qu’un autre chef d’État ait jamais bénéficié deux fois en quatre ans de ces attentions de la part du président des États-Unis.

Il est vrai qu’Emmanuel Macron avait réussi à être l’un des rares interlocuteurs de Donald Trump qui étaient restés en contact direct et constant avec lui jusqu’à la fin de son mandat. Certes, il y avait eu des cahots en chemin, mais le président français avait à juste titre conclu qu’il était capital de dialoguer avec l’homme le plus puissant au monde – d’autant que, autour de celui-ci, personne même parmi ses plus proches collaborateurs ne pouvait influencer, prévoir ou expliquer ses décisions, comme je le constatais régulièrement au sein d’une administration à la dérive.

Pragmatisme américain

Que Joe Biden emboîte le pas de Donald Trump reflète le pragmatisme américain. À Washington, j’avais observé qu’on y avait conclu qu’en Europe aujourd’hui, en matière de sécurité, la France est l’interlocuteur privilégié parce qu’elle y est le seul grand pays qui y conduit une politique globale, volontariste et indépendante.

C’est un peu par défaut que nous avons acquis ce statut : l’allié traditionnel britannique est perdu depuis 2016 dans les remous du Brexit, et l’Allemagne se refuse toujours aux responsabilités de la puissance. La guerre en Ukraine n’a fait que renforcer ce jugement dans la mesure où, on ne l’a pas assez souligné, les États-Unis et la France sont proches dans leur volonté commune non seulement de soutenir l’Ukraine mais aussi de laisser ouverte la porte à la négociation.

Alors que Londres fait de la surenchère antirusse sous les applaudissements de Kiev, de Varsovie et de quelques autres, Washington veille à éviter toute escalade dangereuse face à Moscou, que ce soit en refusant la livraison d’armes comme les avions de combat ou l’artillerie lourde ou en ne réagissant pas aux gesticulations nucléaires russes. Le chef d’état-major américain a même déclaré que l’Ukraine ne pourrait pas récupérer tous les territoires perdus et qu’il lui faudra donc négocier avec l’ennemi.

Récemment, une fuite qui n’a pas été démentie a révélé que les États-Unis avaient conseillé à Zelensky de ne pas exclure de dialoguer avec Poutine. C’est plus ou moins ce que répète le président de la République depuis le début du conflit, ce qui lui attire les critiques de tous les va-t-en-guerre qui restent d’ailleurs étonnamment silencieux lorsque ces propos proviennent de sources américaines…

Choisir son camp

Comment mettre un terme à cette guerre dans les meilleures conditions pour l’Ukraine sera sans doute le sujet central des entretiens de Washington. Peut-être les deux chefs d’État, en tête-à-tête, iront-ils jusqu’à s’interroger sur l’avenir de la Crimée, mais nous ne le saurons pas tant cette question est sensible aussi bien à Kiev qu’à Moscou.

Mais, du côté français, on n’oublie pas le mauvais coup qu’ont ourdi Américains et Britanniques à nos dépens avec l’affaire des sous-marins australiens ; on apprécie peu que les producteurs américains de gaz naturel liquéfié profitent de la crise énergétique européenne. Ce type de visite, c’est aussi pour se parler franchement, et Emmanuel Macron le fera.

À cet égard, le sujet le plus sensible sera l’attitude des Européens dans la confrontation sino-américaine. Nul doute que les États-Unis ne leur demandent de choisir leur camp et que certains d’entre eux soient prêts à le faire, ne serait-ce que par reconnaissance pour l’engagement américain en Ukraine. Le président de la République a déjà indiqué qu’il faudrait que notre continent dégage une ligne politique autonome face à la Chine qui tienne compte de notre proximité avec les États-Unis mais ne prenne pas la forme d’un alignement, c’est-à-dire une sorte de gaullisme 2.0 dans la nouvelle confrontation entre superpuissances qui se met en place.

Voilà de quoi susciter l’incompréhension à Washington où l’on ne conçoit la politique étrangère que comme un leadership où les alliés ont peu à dire. Les Américains, qu’ils soient républicains ou démocrates, considèrent que la Chine est leur adversaire stratégique pour les décennies à venir et ils s’attendent à ce que les pays occidentaux se rangent derrière eux sous la bannière de la lutte des démocraties contre les autocraties.

Dans ce contexte, que la France tente de fédérer les Européens, voire qu’elle maintienne son propre dialogue avec la Chine et les pays de la région, serait mal vu à Washington. C’est pourtant ce qu’elle doit faire ; c’est ce que tentera d’expliquer à ses interlocuteurs Emmanuel Macron. Les relations franco-américaines sont ainsi faites de proximité et de désaccords. Les meilleures querelles sont les querelles de famille, avais-je l’habitude de dire à Washington….

 

LE POINT