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Gérard Araud – Ce devrait être Biden (sauf problème de santé)

CHRONIQUE. Aux États-Unis, on voit mal qui pourrait encore empêcher le président sortant d’emporter l’investiture démocrate en vue de la prochaine présidentielle.


Nous sommes désormais à moins de onze mois des premières primaires de l’élection présidentielle américaine de novembre 2024, celles de l’Iowa. Même si Joe Biden n’a pas encore annoncé officiellement sa candidature, elle ne fait guère de doute. En effet, dans ce délai, il serait désormais difficile pour un autre démocrate, à part la vice-présidente Kamala Harris, de se faire connaître de l’ensemble du pays et de réunir les moyens financiers nécessaires pour la campagne. Certes, le président actuel a toujours indiqué son intention de se représenter mais cette affirmation pouvait être une tactique pour ne pas être considéré comme un sortant dès son élection, dont il faut tout de suite chercher le successeur.

Beaucoup d’Américains, quelle que soit leur affiliation politique, pensaient donc qu’il renoncerait. En effet, Joe Biden, qui a eu 80 ans en novembre dernier, accuse son âge, que ce soit dans sa démarche hésitante ou dans ses absences. C’est pain béni pour les républicains, qui se gaussent lorsqu’il trébuche en montant un escalier ou apostrophe une élue décédée peu avant. Pour eux, Biden n’est qu’une marionnette sous l’influence de son entourage et qui est incapable de remplir sa mission. Nul doute que ce sera l’angle d’attaque de toute leur campagne à venir.

Ce n’est pas pour rien que, de son côté, il vient de publier les résultats d’un examen médical qui conclut à l’intégrité de ses fonctions cognitives. Pourtant les démocrates ne sont pas enthousiastes non plus à la perspective d’élire un octogénaire pour lequel ils éprouvent de la sympathie mais qui ne les a jamais galvanisés. Selon les sondages, une majorité d’entre eux préférerait d’ailleurs qu’il se retire. Cela étant, ils ont d’autant moins le choix que la vice-présidente n’a pas réussi à s’imposer comme une alternative possible. En tout cas, la candidature du président sortant présente l’avantage d’éviter que le parti ne se déchire entre une gauche de plus en plus puissante et un centre convaincu que la suivre serait aller à la défaite.

À part le handicap de son âge, Joe Biden abordera la campagne électorale avec un bilan relativement positif. L’économie est repartie et le chômage ne cesse de baisser malgré la forte hausse des taux d’intérêt décidée par la Banque centrale pour contenir une inflation qui est le talon d’Achille de l’administration dans ce domaine. Son administration a réussi à faire voter par un Congrès pourtant profondément divisé un ensemble législatif de première importance, que ce soit pour une véritable politique industrielle, pour l’amélioration des infrastructures ou pour la lutte contre le changement climatique. À l’extérieur, il a réagi avec fermeté à l’agression russe en Ukraine sans tomber dans la surenchère et il a posé, en Asie, les fondements d’une coalition antichinoise.

L’épouvantail Trump

De quoi fournir des arguments de campagne en temps normal mais les États-Unis, comme la plupart des autres démocraties, ne traversent pas une « période normale » : le pays est à ce point polarisé que les arguments rationnels y ont peu de poids. Le Parti républicain a poursuivi sa dérive vers l’extrême droite : le complotisme y a table ouverte. On critique vaccins, on doute de l’honnêteté des élections et on accuse l’adversaire de pédophilie. C’est dans ce marigot malodorant que Trump est à la manœuvre. Il s’est déclaré tôt candidat pour essayer de décourager d’éventuels concurrents. Nikki Haley, ancienne gouverneure de Caroline du Sud et ambassadrice auprès des Nations unies, s’y est risquée, mais chacun comprend qu’elle prend date pour l’après 2024.

L’inconnue reste la décision que prendra Ron DeSantis, le gouverneur de Floride, le favori des conservateurs classiques hostiles à Trump. Dans son État, il se livre à une débauche de mesures identitaires pour « faire du Trump sans Trump », ce qui laisse supposer qu’il va y aller, mais il n’a pas encore franchi le pas. Il est vrai que faire campagne contre un adversaire qui ne respecte aucune règle, manie l’insulte et la diffamation et n’a qu’un rapport éloigné avec la vérité n’est pas simple… Par ailleurs, il sait que son succès n’est pas assuré. Sans charisme, peu connu en dehors des frontières de son État, il affronterait un Trump qui est une « bête de scène » que rien n’atteint et qui peut compter sur le soutien d’une forte minorité de ces militants qui font les primaires. En tout état de cause, il semble le seul républicain qui puisse empêcher Trump d’être de nouveau le candidat de la droite américaine.

Cela étant, si Trump enthousiasme encore certains, il lasse beaucoup d’autres, y compris chez les républicains. Ses discours ont d’autant plus perdu le charme de la nouveauté que, véritable obsessionnel, il ne les renouvelle pas. L’habitude qu’on a prise de leur fond, de leur ton et de leur virulence met en valeur leur vacuité. Alors, aurons-nous en novembre 2024 un Biden vieilli et fatigué face à un Trump plus caricatural que jamais ? Ce pourrait être le cas, mais ne sous-estimons pas la capacité des États-Unis à nous surprendre. En tout cas, si surprise il y a, elle viendra du côté républicain et elle s’appellera sans doute DeSantis car, chez les démocrates, c’est probablement joué : sauf problème de santé, ce devrait être Biden.