CHRONIQUE. La rivalité sino-américaine ne cesse de se renforcer en raison des provocations chinoises, mais aussi d’une « hystérie » antichinoise aux États-Unis.
Il y a quelques semaines, l’incident du ballon espion chinois, dérisoire en lui-même, était néanmoins inquiétant tant il révélait de tensions entre Washington et Pékin. L’administration Biden avait été contrainte de dramatiser l’affaire sous la pression de l’opinion publique.
Il a fallu peu de temps pour confirmer cette détérioration des relations entre les deux pays au point que Xi Jinping vient d’accuser les États-Unis de tout faire pour encercler et affaiblir son pays. De son côté, le ministre chinois des Affaires étrangères ajoutait que « si les États-Unis ne mettent pas le pied sur le frein mais continuent d’accélérer dans la mauvaise direction, rien n’empêchera un déraillement et il y aura sûrement un conflit ». On peut craindre qu’un seuil ait été franchi et que la nouvelle guerre froide ait été bel et bien déclarée entre les deux grandes puissances.
C’est un fait que les États-Unis ont déclenché en octobre 2022 une guerre technologique pour s’opposer à ce que la Chine devienne une économie avancée. En outre, Ils multiplient les accords militaires en Asie, dont l’ennemi non désigné est connu de tous, récemment aux Philippines où ils ont obtenu l’ouverture de ports à leur marine de guerre ou en Australie : lorsque le président américain et les Premiers ministres australien et britannique se retrouvent à Los Angeles pour sceller une étroite coopération militaire, ce n’est pas être paranoïaque à Pékin que de s’en sentir la cible et de crier à l’encerclement. D’ailleurs, la semaine dernière, les responsables des services de renseignements américains ont surenchéri l’un sur l’autre devant une commission du Sénat sur la menace que représenterait la Chine pour leur pays.
Nouvelle puissance, nouvelles ambitions
Il ne s’agit pas ici de sous-estimer les inquiétudes que suscite la puissance recouvrée de la Chine auprès de ses voisins ni de nier qu’il faut aider ceux-ci à la contenir, mais rappelons des faits qui peuvent relativiser le problème parfois décrit dans des termes apocalyptiques. Oui, la Chine augmente son budget de la défense de 7 % par an, mais cet effort est-il disproportionné par rapport à ses besoins et à sa puissance ? Après tout, elle n’a pas la chance des États-Unis d’être éloignée de toute menace par sa géographie. Rappelons que ces derniers dépensent 3,7 % de leur PIB pour leur défense alors que, selon le Sipri, l’institut indépendant de Stockholm, c’est 1,7 % dans le cas de la Chine, soit sensiblement moins que son adversaire même si on y ajoute une estimation des dépenses militaires dissimulées. Cette réalité est d’ailleurs renforcée par le fait qu’il faudrait ajouter face à elle les budgets de la défense du Japon, d’Australie et de l’Inde qui sont loin d’être négligeables et qui sont eux-mêmes en augmentation.
Oui, la Chine est de retour au rang des très grandes puissances ; oui, elle exprime en conséquence de nouvelles ambitions ; oui, c’est une transition délicate qui porte avec elle d’inévitables tensions, mais, faut-il le rappeler, ce vieux pays n’a pas une histoire marquée par un particulier esprit de conquête. Sa politique étrangère a toujours été dominée par le souci prédominant de s’assurer des intentions non menaçantes de ses voisins.
D’ailleurs, aux États-Unis, Fareed Zakaria, le prestigieux éditorialiste de CNN, et Ed Luce, le correspondant du Financial Times, qui ne sont ni des naïfs ni des pacifistes, ont récemment appelé les Américains à la raison, en invoquant l’un et l’autre, une « hystérie » antichinoise dans le pays. Les deux concurrents partagent trop d’intérêts, en particulier économiques, disent-ils, pour s’enfermer dans une politique à somme nulle. Or, c’est dans cette voie que s’engagent, dans les faits, les États-Unis, en particulier à Taïwan où, ils sortent progressivement de l’ambiguïté stratégique qui caractérisait jusqu’ici leur soutien militaire à l’île. Or, celle-ci permettait de sauver la face à la Chine qui pouvait arguer que c’était volontairement qu’elle ne recourait pas à l’option militaire pour réunifier la mère patrie. L’affaire serait réglée pacifiquement « entre Chinois ». Désormais, cette fiction risque de n’être plus crédible. Or, s’il est un sujet où la Chine peut déclencher une guerre, c’est bien celui-là.
Au fond, nous nous heurtons, une fois de plus, à l’incapacité des États-Unis à concevoir une rivalité géopolitique autrement qu’en termes manichéens de croisade du Bien contre le Mal. Ils ne veulent pas voir que la prééminence américaine en Asie n’est pas de droit divin, que la rivalité sino-américaine est inscrite sur la carte, qu’elle ne procède ni des noirs desseins de la Chine ni de son régime politique, mais de la nature compétitive des relations internationales. Il est inévitable que les deux grandes puissances se disputent la prééminence en Asie. À elles d’éviter le pire. Il faudrait donc que les États-Unis gèrent cette rivalité non comme une menace existentielle, mais comme la normalité des relations internationales en recourant aux instruments traditionnels de la géopolitique, l’endiguement mais aussi le dialogue politique fondé sur le compromis. Encore faut-il que les Américains admettent que, certes, la Chine est une dictature, mais que même les dictatures ont des intérêts de sécurité légitimes. Je ne sais si la Chine, c’est le Mal, mais je sais qu’il faut lui parler. Or, aujourd’hui, c’est un fait que les États-Unis ne le font pas.