CHRONIQUE. Le retour de Netanyahou est l’occasion de faire le point sur un sujet qui suscite des passions à ce point opposées que tout dialogue serein devient quasi impossible.
L’intronisation à Jérusalem d’un nouveau gouvernement qui réunit la droite et l’extrême droite me fournit l’occasion de revenir sur le conflit israélo-palestinien.
J’ai consacré de longues années à ce sujet au cours de ma carrière diplomatique qui m’a conduit, en particulier, à deux reprises à notre ambassade à Tel-Aviv, la seconde fois comme ambassadeur, mais j’ai jusqu’à présent évité de le traiter ici parce qu’il suscite des passions à ce point enflammées et oppose des narratifs à ce point opposés que tout dialogue serein en devient quasiment impossible.
Je rappelle que la mission du diplomate n’est pas de distribuer des bons points, de dire qui a tort ou qui a raison, mais de trouver une voie vers la paix s’il en existe une sur la base des faits, c’est-à-dire des demandes des deux adversaires et des rapports de force entre eux.
Un rapport de force déséquilibré
Première constatation : Israël est le vainqueur ; les Palestiniens, les vaincus. Le propos est brutal, je le concède, mais il ne sert à rien de nier la réalité. Israël est militairement et économiquement une superpuissance régionale. Il bénéficie du soutien jusqu’ici indéfectible des États-Unis, d’un traitement de faveur de l’UE et de l’alliance de facto de la majorité des pays arabes qui voient en lui une garantie contre l’Iran.
En face, la « Palestine », Cisjordanie et bande de Gaza, non seulement ne représente qu’un PIB de 18 milliards de dollars (Israël de 490 milliards, soit 25 fois plus !), mais elle est divisée entre deux mouvements irréconciliables engagés dans une guerre civile de fait. Gaza est une prison à ciel ouvert dont les geôliers israélien et égyptien coopèrent ; de son côté, la Cisjordanie, occupée depuis cinquante-cinq ans, est fermement tenue en main depuis l’échec de la deuxième intifada, il y a presque vingt ans.
À l’extérieur, le temps est passé de la mobilisation de la communauté internationale sur la question palestinienne. Ce n’est pas seulement le monde arabe qui sacrifie sans états d’âme la solidarité avec les Palestiniens à ses préoccupations de sécurité ; c’est aussi l’Europe où les uns assument une posture résolument pro-israélienne et où les autres ont conclu que rien n’était possible et qu’il n’y avait donc aucune raison de consacrer du capital diplomatique à un conflit dans l’impasse. Par ailleurs, Russie, Inde et Chine entretiennent les meilleures relations du monde avec Israël quitte, de temps en temps, à voter des textes qui n’engagent à rien et ne servent à rien à l’Assemblée générale des Nations unies.
Dominer sa victoire
Lorsqu’un conflit révèle un rapport de force à ce point déséquilibré, il n’y a de paix possible que si le vainqueur domine sa victoire et le vaincu accepte sa défaite. Le premier doit proposer des termes qui reflètent la réalité mais qui soient acceptables par son interlocuteur, et le second comprendre qu’il doit faire des concessions proportionnées à sa faiblesse. C’est ainsi que de tout temps se sont conclues les guerres. Il n’y a aucune raison qu’il en soit différemment en l’espèce. Or, force est de conclure qu’aucune des deux parties n’est prête à consentir à cet effort.
Du côté palestinien, personne n’a la légitimité nécessaire pour entraîner son peuple derrière lui dans cette voie. Autoritarisme et corruption minent les deux autorités qui gouvernent, chacune de son côté, Gaza et la Cisjordanie. Il est vrai qu’en face, rien ne les incite au compromis. En effet, les gouvernements israéliens prouvent par leurs actes et par leurs déclarations qu’ils ne veulent pas d’un État palestinien. La colonisation israélienne en Cisjordanie se poursuit à un tel rythme qu’elle y rend impossible la création d’un État palestinien viable et contigu. En politique étrangère, on fait rarement des concessions quand on est aussi comparativement fort que ne l’est Israël.
Les Américains découragés se sont d’ailleurs retirés du jeu après des décennies d’efforts diplomatiques infructueux. Récemment, Trump seul s’y est risqué, mais il avait mis sur la table un plan de paix à ce point favorable à Israël qu’il n’avait aucune chance de constituer même une base de discussion. Il n’y a donc aujourd’hui même plus de semblant de « processus de paix » entre les deux ennemis. Or, le nouveau gouvernement de Benyamin Netanyahou comporte des partis qui appellent à l’annexion de la Cisjordanie, voire à l’expulsion des Palestiniens. Une négociation en devient inconcevable.
Alors qu’attendre de l’avenir ? Les Palestiniens eux-mêmes comprennent que la perspective d’un État, au moins en Cisjordanie, est plus lointaine que jamais. Ils voient les implantations israéliennes qui parsèment le paysage et les grues qui les dominent ; ils suivent les débats politiques israéliens et y constatent la montée inexorable de l’extrême droite.
Dans ce contexte, le scénario le plus vraisemblable est la poursuite de la colonisation israélienne en Cisjordanie et l’absence de toute négociation entre un vainqueur assuré de sa force et un vaincu impuissant avec de temps en temps des bouffées de violence suivies de trêves. Il n’y a dans cette analyse ni satisfaction ni cynisme de ma part, mais un constat que je crois ancré dans la réalité du moment. « Malheur aux vaincus », nous prouve l’histoire. Au vainqueur de ne pas abuser de sa victoire : c’est loin d’être acquis.