CHRONIQUE. L’ancien président est encore plus radical et outrancier qu’il ne l’était en 2016. Mais la partie est loin d’être gagnée pour Joe Biden et les démocrates.
En 2016, l’ambassadeur de France aux États-Unis que j’étais avait affirmé avec beaucoup de certitude que Trump ne pouvait être élu.
J’avais consulté les plus grands instituts de sondage du pays et les meilleurs spécialistes de politique intérieure, qu’ils soient républicains ou démocrates. Leur réponse était unanime : certes, Hillary Clinton était une mauvaise candidate, mais l’incohérence, la vulgarité et l’incompétence de son concurrent lui assuraient son élection. J’ai compris la leçon d’autant qu’en 2020, on a relevé que, si Trump a été battu dans le vote populaire de près de sept millions de voix, il aurait pu cependant être réélu grâce au collège électoral avec un déplacement de seulement deux cent mille voix.
J’aborde donc cette nouvelle campagne électorale avec beaucoup de prudence dans l’analyse. Ce n’est pas facile parce que, un peu comme en 2016, la plupart de mes interlocuteurs ne peuvent imaginer que Trump puisse être réélu. En effet, ils soulignent qu’il s’est encore radicalisé : il ne recule devant aucune violence de langage, il adhère publiquement aux pires théories du complot et continue de crier sur les toits qu’on lui a volé son élection en 2020 alors que la justice a tranché sans ambiguïté dans le sens contraire même lorsque les juges étaient républicains. En 2016, ses apparitions suscitaient le sourire et l’incrédulité ; en 2023, c’est l’inquiétude qu’on ressent à écouter des propos qui remettent en cause les fondements de la démocratie. Il s’est aligné sur la droite la plus radicale et en vient à défendre les émeutiers qui ont pris d’assaut le Capitole le 6 janvier 2021.
Hunter, Fox et réseaux sociaux
Ce n’est plus un clown ; c’est un apprenti dictateur. Sur la base de ces éléments, beaucoup d’amis démocrates, beaucoup d’experts m’affirment qu’il est allé trop loin, qu’il effraie les modérés et ne peut l’emporter.
J’aimerais les croire. Pourtant, ce n’est pas ce que disent aujourd’hui les sondages qui prédisent, au contraire, une victoire de Trump. En effet, non seulement, Biden est, comme Hillary Clinton, un mauvais candidat essentiellement du fait de son âge, mais le cancer des fake news a continué à métastaser dans l’ensemble du corps social américain. La « crise de nerfs » américaine, loin de s’apaiser, s’est aggravée. Des études répétées révèlent qu’une minorité substantielle d’Américains est sortie du champ de la rationalité : tout devient complot à leurs yeux depuis la vaccination jusqu’à l’immigration ; les élites, tous partis confondus, ne seraient que des criminels pédophiles ; les institutions autrefois révérées ne suscitent plus aucun respect ; les médias généralistes sont accusés de mentir. Le pauvre Biden, loin d’être le grand-père aimable qu’il paraît, serait soit un monstre machiavélique soit une marionnette manipulée par de mystérieux maîtres où figure naturellement Soros.
Son fils, aux multiples ennuis judiciaires et psychologiques, serait non un pauvre type un peu paumé, mais un criminel de haut vol soutenu par son père. Un méli-mélo tentaculaire qui est omniprésent sur les réseaux sociaux où les Américains recueillent en moyenne les deux tiers de leurs informations, cette proportion passant à 80 % pour les jeunes. Fox News, la première télévision du pays, continue de surfer sur cette vague à coups de plateaux de télévision qui font plus que flirter avec ces rumeurs. J’ai parfois l’impression de retrouver le pire de ce qu’offrent certains médias français, porté à la puissance dix.
Tout est désormais possible
Comme en 2016, en face, les modérés assistent impuissants au désastre. Certains, la majorité, sont une fois de plus dans le déni. Je comprends qu’ils ne puissent imaginer que leur pays réélise ce démagogue qui est la négation même de tout ce qu’ils respectent en termes de dignité, d’honnêteté et de vérité ; je vois combien ils sont démunis face à des mensonges si énormes qu’ils ne savent pas comment y répondre ; je crains qu’ils ne sachent donc pas comment détourner le danger. D’autres, moins scrupuleux, se rappellent les cadeaux fiscaux que leur avait apportés le premier mandat de Trump. En 2016, Wall Street avait voté Clinton : le patron d’un des plus grands fonds d’investissement de la place et donc du monde m’avait confié que, dans son milieu, personne ne faisait plus confiance à « cet escroc ». En 2020, il faisait allègrement campagne pour lui comme ses pairs qui oubliaient les excès moraux et politiques du premier mandat pour ne s’en rappeler que les bénéfices substantiels qu’ils en avaient tirés.
Certes, la campagne n’a pas commencé. Trump n’est pas encore le candidat républicain. Beaucoup dépendra de la situation économique, en particulier de l’inflation, mais ce serait une erreur de considérer qu’un Trump encore plus radical et incontrôlable qu’en 2020 ne peut pas être réélu. Face à Biden, dont chaque apparition confirme le grand âge, tout est désormais possible, y compris des violences à un stade ou à un autre du processus électoral. L’élection présidentielle de 2024 sera capitale pour les États-Unis et donc pour le monde. En effet, un Trump de retour ne se sentirait lié par rien pour mettre en œuvre une politique qui, à l’intérieur comme à l’extérieur, serait bien plus radicale que celle qu’il a suivie au cours de son premier mandat.