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Gérard Araud : France, Maroc, Algérie, ce délicat jeu à trois


CHRONIQUE. « Tout mandat présidentiel français commence а Alger et finit а Rabat. » Emmanuel Macron va-t-il marcher dans les pas de Mitterrand, Chirac et Sarkozy ?

Quelles que soient les raisons du rejet de l’aide humanitaire française par le Maroc après le récent tremblement de terre, celui-ci a mis sur la place publique une réalité jusqu’ici rarement abordée par les médias, celle d’une tension sans précédent dans les relations entre les deux pays.

Un temps, je n’y ai vu que les habituels nuages qui assombrissent nos relations avec Rabat à chaque fois que Paris se rapproche d’Alger. Or, tout président français, au début de son mandat, se croit obligé d’annoncer son intention de parvenir enfin à un modus vivendi amical avec l’Algérie. Le scénario est alors toujours le même : un geste français, une embellie temporaire et, tôt ou tard, une déclaration ou une décision algérienne qui vient réduire à néant le fruit de ces efforts. Le régime algérien trouve dans les souvenirs savamment entretenus et amplifiés de la guerre d’Indépendance la légitimité dont il a besoin pour faire oublier corruption, inefficacité et autoritarisme.

Je me rappelle qu’en 2003, après que Chirac eut été acclamé à Alger, j’avais dit à l’ambassadeur d’Algérie de ne pas se réjouir trop vite parce que tout mandat de président français « commençait à Alger et finissait à Rabat »… Emmanuel Macron a imité ses prédécesseurs avec les mêmes résultats : voilà Alger qui reprend sa rhétorique anti-française.

Cette fois, cependant, la brève lune de miel franco-algérienne ne suffit pas à expliquer la mauvaise humeur marocaine. S’y est ajoutée la réduction drastique, en 2021, du nombre de visas octroyés par la France pour obtenir que les pays du Maghreb réadmettent leurs ressortissants en situation irrégulière, mesure d’ailleurs rapidement annulée mais le mal était fait. Autre irritant secondaire, la révélation de l’utilisation d’un logiciel espion par le Maroc aux dépens des plus hautes autorités françaises. Mais, l’essentiel est ailleurs.

La confrontation algéro-marocaine sur le Sahara occidental

En 1975, le Maroc a annexé l’ancienne colonie espagnole du Sahara occidental. Il s’y est heurté à une guérilla armée par l’Algérie pendant que la communauté internationale n’acceptait pas son coup de force et envoyait sur place une force des Nations unies, la Minurso, pour préparer un référendum d’autodétermination. Près d’un demi-siècle plus tard, le conflit n’est toujours pas résolu : Maroc et Nations unies coexistent inconfortablement pendant que l’Algérie continue de subventionner les Sahraouis installés sur son territoire. Pour le Maroc, c’est une cause nationale.

Dans ce contexte, aux Nations unies, la France a toujours été son soutien face à l’Algérie et à ses alliés, comme l’Afrique du Sud, le Nigeria ou le Brésil. Chaque année, au moment du renouvellement du mandat de la Minurso, au Conseil de sécurité, je savais, lorsque j’y représentais la France, qu’il m’y faudrait batailler de longues heures pour éviter que les adversaires du Maroc n’essaient de profiter de l’occasion pour porter atteinte à ses intérêts. Ni les États-Unis ni le Royaume-Uni n’étaient d’un grand secours. Les premiers pardonnaient mal à Rabat d’avoir refusé un plan de paix proposé par l’ancien secrétaire d’État Baker et le second prenait même le parti de l’Algérie pour des raisons qui m’ont toujours échappé et qui devaient être essentiellement mercantiles.

La France entre le marteau et l’enclume

Le secrétariat des Nations unies, anticolonialiste par vocation, et la presse ne manquaient pas d’accuser la France d’être l’obstacle principal à la remise en cause de la présence marocaine au Sahara occidental. Et puis est venu Trump. Indifférent au droit international, il a vu dans ce sujet un moyen de convaincre le Maroc d’adhérer aux accords dits d’Abraham qui ont conduit à la normalisation des relations entre Israël et un certain nombre de pays arabes. En échange de ce ralliement, il a annoncé que les États-Unis reconnaissaient la souveraineté marocaine sur ce territoire. Volte-face qui revenait sur près d’un demi-siècle de position américaine et qui violait des dizaines de résolutions du Conseil de sécurité.

D’un seul coup, la France se trouvait débordée « sur sa droite ». L’amie des mauvais jours est donc maintenant brutalement sommée d’imiter les États-Unis. Oublié le soutien indéfectible accordé pendant des décennies, la France apparaît désormais à Rabat comme rétive, voire inamicale, en maintenant sa position traditionnelle.

Or, du côté de Paris, ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement le respect du droit international, c’est aussi le souci de rester à l’écart de la confrontation algéro-marocaine dont le Sahara occidental est un volet essentiel. Nos intérêts humains, sécuritaires et économiques sont trop importants pour que nous compliquions encore plus nos relations avec l’Algérie pour un sujet qui, après tout, ne nous concerne qu’indirectement. Le Maroc sait que si nous reconnaissions sa souveraineté, l’Algérie y verrait un acte hostile et réagirait en conséquence. Nous deviendrions partie au conflit à ses côtés. C’est ce que nous voulons éviter ; c’est ce qu’il espère obtenir.

Se retrouver entre l’enclume et le marteau est toujours inconfortable ; ce n’est pas la première fois que la France en fait l’expérience entre l’Algérie et le Maroc. Aucune raison de paniquer ou de se précipiter à Rabat. À nous de savoir rappeler au bon moment au Maroc que notre relation est mutuellement profitable… Nous en avons les moyens.

* Gérard Araud, ancien diplomate, a été ambassadeur de France aux États-Unis de 2014 à 2019.

 

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