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Quelles conséquences les législatives auront-elles pour l’Ukraine ?

 

LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. Une victoire de l’extrême gauche ou du Rassemblement national ferait les affaires de la Russie de Poutine.

La politique étrangère joue rarement un rôle central dans les campagnes électorales. À tort ou à raison, le citoyen n’y voit pas aisément des enjeux qui pourraient le conduire à revoir ses choix. Ajoutons qu’en France elle a pris, dans les faits, la réalité d’un « domaine réservé » du président de la République. En quarante ans de carrière diplomatique, je ne me rappelle pas un exemple où le Parlement aurait fait entendre sa voix dans ce domaine contre l’avis du pouvoir exécutif.

Tout ambassadeur sait d’expérience que le bon accueil des délégations parlementaires fait partie des convenances auquel il est astreint sans qu’il en attende grand-chose au-delà d’échanges convenus. D’ailleurs, quels que soient les arguments de campagne, quel que soit le vainqueur, c’est la continuité qui l’emporte moyennant des aménagements à la marge.

« Ne pas mourir pour le Donbass »
Les résultats du prochain scrutin pourraient cependant démentir cette certitude. En effet, la France est confrontée au retour de la guerre sur notre continent avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Non seulement, comme ses partenaires occidentaux, elle a apporté son soutien politique et financier à la victime de l’agression, mais, récemment, devant la perspective d’une victoire de la Russie, Emmanuel Macron a laissé entendre qu’il serait peut-être nécessaire d’envoyer des troupes au sol pour s’y opposer. Dans l’immédiat, il a entrepris de réunir une coalition de pays européens pour déployer sur le territoire ukrainien un contingent pour la formation de techniciens. Enfin, en marge des cérémonies du 6 juin, il a évoqué la livraison de Mirages 2000-5.

Ces initiatives ont suscité une levée de boucliers aux deux extrêmes du spectre politique. Il faut y voir le reflet du sentiment prorusse qui y règne, par antiaméricanisme des deux côtés et, à droite, par attraction pour un régime autoritaire qui fait mine de défendre les valeurs traditionnelles. Peu à peu, on s’y était senti obligé d’atténuer l’expression publique de ces sentiments pour ne pas heurter une opinion publique émue par le sort de l’Ukraine mais l’escalade militaire qu’impose la résistance à l’agression russe offre une occasion de leur donner une forme plus acceptable.

Il ne s’agit plus de justifier l’impérialisme russe mais de crier au casse-cou et d’affirmer que la France court le risque d’une guerre avec une superpuissance nucléaire. « Ne pas mourir pour le Donbass » devient le nouveau cri de pseudo-pacifistes qui ne le sont que par faiblesse à l’égard de la Russie. Se faire les avocats de la paix, c’est plus honorable que d’être ceux de Poutine. Ces partis appellent donc à une négociation qui, aujourd’hui, ne pourrait être qu’une capitulation. Ils menacent de cesser les livraisons d’armes à l’Ukraine, ce qui revient à aider le plus fort qui n’en a pas besoin. C’est donc contribuer à la victoire de la Russie.

Le risque de la défection de la France
Le « domaine réservé » du président ne va pas jusqu’au financement de la politique étrangère. Il n’y a pas de budget sans vote du Parlement. Si ces partis étaient en position de force à l’Assemblée nationale, il leur serait possible de bloquer toute aide à l’Ukraine tout en voilant leur choix prorusse d’appels à la négociation et à la paix dans la conviction que l’opinion publique se lasse des sacrifices qu’entraîne le soutien à l’Ukraine en termes financiers et d’inflation et qu’elle se résignerait à la défaite de ce pays dont elle ne considère pas la survie comme un intérêt national.

Or, le Royaume-Uni et l’Allemagne traversent comme la France des crises majeures, même si l’origine et les modalités en sont différentes. Elles tâtonnent à la recherche de solutions, ce qui les détourne de la politique étrangère. Elles sont donc incapables de conduire les Européens au moment où les Américains risquent de fléchir si Trump est élu. Dans ce contexte, la défection de la France, qui a assumé ce rôle au cours des derniers mois, pourrait signer la victoire de la Russie qui serait en mesure d’imposer ses conditions à une Ukraine vassalisée.

Et alors ? diront ces partis. Et alors, la Russie forte de sa victoire pourra peser de tout son poids aux frontières d’une Otan où la garantie américaine n’en sera plus une et où, de surcroît, la France aura quitté la structure militaire de l’organisation puisqu’ils le veulent ainsi, invoquant le général de Gaulle qui avait pris cette décision dans un contexte entièrement différent. Abandonnés par les États-Unis de Trump, les Européens verront en outre la France, première puissance militaire de l’UE, s’éloigner, devenir une alliée moins proche, moins sûre et moins fiable. Aujourd’hui, nos soldats manœuvrent en Estonie, ce qui est dire à la Russie que toute agression de ce petit pays vulnérable impliquerait également la France, ce qui exerce un indéniable effet dissuasif. Que les Estoniens se débrouillent comme ils peuvent, répondront-ils sans doute…

Les faits parlent donc d’eux-mêmes : l’extrême gauche et l’extrême droite françaises se retrouvent pour prôner une politique étrangère qui encouragerait l’impérialisme russe aux dépens de nos alliés et de nos partenaires, en particulier en cas d’élection de Trump. C’est l’équilibre géopolitique de notre continent qui est en jeu.

 

 

LE POINT