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Ukraine, Gaza : comment terminer une guerre ?

LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD.

Quand une victoire militaire est impossible et que la recherche d’un accord devient inévitable, de multiples obstacles surviennent.
Par Gérard Araud

Toute guerre a une fin, qu’elle soit formalisée dans un traité, un armistice, un cessez-le-feu, ou pas. En dehors du cas d’une victoire totale et sans appel, parvenir à ce stade ne va pas de soi. En effet, les arguments ne manquent jamais pour poursuivre les combats jusqu’à un hypothétique succès. Par ailleurs, les débats prennent alors moins l’aspect d’une analyse froide et rationnelle de la situation du champ de bataille telle qu’on serait en droit de l’attendre qu’ils ne donnent libre cours aux passions du moment et aux considérations de politique intérieure.

Les conflits en cours en Ukraine et à Gaza en témoignent. Dans les deux cas, l’analyse dépassionnée de la situation devrait conduire à la conclusion qu’il est temps pour les belligérants de rechercher activement une solution pacifique qui mette un terme aux affrontements. Or, nous en sommes encore loin.

Une guerre sanglante en Ukraine
Qu’on en juge. En Ukraine, l’armée russe avance pas à pas au prix de lourdes pertes mais ne paraît pas en mesure de rompre le front ennemi tandis que l’incursion adverse vers Koursk, quel que soit son succès initial, ne modifiera pas l’équilibre stratégique. L’Ukraine ne peut pas gagner la guerre, du fait de la disproportion des forces, mais la détermination de son armée et le soutien de l’Occident laissent entendre qu’elle peut résister longtemps à la pression russe.

La perspective la plus probable est donc, à ce stade, celle d’une guerre sanglante et longue dont l’agressé est évidemment la première victime, mais qui est également coûteuse pour son ennemi. Négocier sur la base de cette réalité militaire signifierait que Kiev fasse son deuil des territoires conquis par la Russie et Moscou de sa volonté de vassaliser son voisin à l’image de la Biélorussie ; double échec aux yeux des deux opinions publiques.

À Gaza, l’opération israélienne a échoué à éradiquer le Hamas – comme prévu, oserait-on ajouter. Tsahal peut détruire les infrastructures du territoire et éliminer des chefs terroristes, mais à peine évacue-t-elle une zone que ses ennemis y sont de retour dans un va-et-vient sans fin dont les civils sont les principales victimes. Il n’y a donc pas de solution militaire en vue, mais Israël refuse toute recherche d’une alternative politique au Hamas, qui remettrait en selle l’Autorité palestinienne et donnerait une nouvelle légitimité à la solution des deux États – dont ne veulent pas Netanyahou et sa coalition.

Que les hostilités s’arrêtent et, du côté israélien, apparaîtra clairement que le Hamas contrôle toujours la bande de Gaza – alors viendra le moment des règlements de comptes, dont le Premier ministre sera l’inévitable victime – tandis que, du côté palestinien, éclatera la colère de la population contre le mouvement qui l’a jetée dans cette tragédie.

Le prix à payer
Les deux cas, si différents soient-ils, conduisent cependant à la même constatation : une fois établi qu’une victoire militaire est impossible et que la recherche d’un accord est raisonnable, de multiples obstacles retardent, voire empêchent de progresser dans cette voie. Le premier est commun à toutes les guerres : elles sont à ce point coûteuses et s’accompagnent d’une rhétorique à ce point enflammée qu’il est difficile de convaincre une opinion publique traumatisée par les sacrifices consentis, et chauffée à blanc par la propagande, qu’il lui faut admettre un dénouement en demi-teinte, à la fois insuffisant pour justifier les premiers et qui ne correspond pas aux promesses de la seconde.

En effet, qui dit paix dit concessions par rapport aux objectifs affichés de l’agresseur et par rapport aux droits invoqués par l’agressé. C’est la raison pour laquelle, plus une guerre dure, plus elle exige de sacrifices et donc plus il est difficile d’y mettre un terme puisque ce serait reconnaître qu’ils ont été consentis en vain.

Il est confortable de s’arroger le manteau du patriotisme et de l’intransigeance face à un gouvernement qui doit prendre des décisions douloureuses et en assumer l’impopularité. Cette protestation peut être dangereuse même si un pouvoir autoritaire comme le russe dispose de moyens pour détourner ou ignorer cette colère.

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Dans ce contexte, le doute qu’on peut souvent légitimement nourrir sur la nécessité de traiter et l’espoir inhérent à la nature humaine que la situation pourrait s’améliorer fournissent aisément des prétextes pour retarder le moment où il faudra admettre une réalité douloureuse. Pour un dirigeant, poursuivre une guerre qui permet d’invoquer l’union sacrée, voire de faire taire l’opposition peut être préférable à rendre des comptes. C’est vrai, aujourd’hui, nous l’avons dit, pour Netanyahou et la direction du Hamas, mais Zelensky, quelles que soient ses qualités, et Poutine, quel que soit son pouvoir, peuvent craindre de ne pas échapper aux interrogations, voire aux accusations de leurs compatriotes.

En d’autres termes, je crains que ces deux conflits humainement dévastateurs ne se prolongent encore de longs mois. Non pour des raisons stratégiques tant ils sont l’un et l’autre dans une impasse, mais parce que les belligérants ne sont pas encore prêts à l’admettre et à en payer le prix politique.

 

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