LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. L’élimination du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah conduira-t-elle à une amélioration ou une aggravation de la situation au Proche-Orient?
Ce titre, « La mort du terroriste, bonne ou mauvaise nouvelle ? », se veut provocateur parce qu’il illustre de manière caricaturale le gouffre qui sépare parfois le citoyen du diplomate. Le premier a le plus souvent vu dans l’élimination de Nasrallah par Israël la mort d’un chef terroriste responsable de la mort de centaines de civils et, de surcroît, de celle de 58 soldats français en mission de paix à Beyrouth en 1983.
S’il est amateur, comme beaucoup, de romans d’espionnage, il aura par ailleurs admiré l’efficacité des services de renseignements israéliens qui, en quelques jours, ont décapité l’organisation libanaise en piégeant des centaines de bipeurs qui en ont décimé la direction, puis en en tuant le chef, qui multipliait pourtant les précautions. Comment, dit le citoyen, dans ce double contexte, ne pas se féliciter de l’opération israélienne ? Voilà nos soldats vengés, voilà un terroriste de haut vol de moins !
Le monde, une jungle sans juge ni gendarme
Une fois de plus, le diplomate encourt l’accusation de lâcheté et de cynisme en ne se joignant pas à ce concert d’éloges et, bien plus, en s’interrogeant sur les conséquences éventuelles de cet événement. Il ne s’agit évidemment pas de nier le recours au terrorisme du Hezbollah, le despotisme qu’il exerce sur la vie politique du Liban et le rôle central de la victime à la tête de l’organisation. Les manifestations de joie dans ce pays comme en Syrie et ailleurs dans le monde arabe ont rappelé ce qu’on y pensait du chef autoproclamé d’une prétendue résistance à « l’entité sioniste ». Il ne s’agit pas non plus d’oublier que, depuis l’attaque du Hamas du 7 Octobre, par ses tirs indiscriminés, le Hezbollah a contraint des dizaines de milliers de civils israéliens à se mettre à l’abri.
Mais le diplomate sait que les relations internationales, ce n’est pas un western où la mort du « méchant » signifie le retour immédiat d’une paix qui n’aurait été que brièvement et accidentellement rompue. Le monde est une jungle sans juge ni gendarme où le danger rode toujours, où les problèmes ne trouvent pas de solution définitive et parfaite et où il faut se contenter de compromis temporaires, partiels et insatisfaisants.
L’important, dans cette logique de fer, n’est donc pas de de se féliciter ou pas de l’élimination de Nasrallah mais de savoir si elle conduira à une amélioration ou à une aggravation de la situation au Liban et plus largement dans la région. En effet, ce n’est pas la première disparition d’un chef terroriste dans le monde, et l’expérience prouve qu’il est rapidement remplacé, parfois par un successeur encore plus radical, plus imprévisible et plus violent que lui.
Par ailleurs, la désorganisation du mouvement ne sera que temporaire. Le Hezbollah devrait reconstituer d’autant plus rapidement ses forces que non seulement l’Iran lui apporte un soutien logistique, humain et financier, mais qu’il dispose d’une base politique solide au sein de la communauté chiite. De son côté, l’État libanais, quasiment failli, paraît incapable de profiter de l’affaiblissement du mouvement pour rétablir son autorité sur son propre territoire. À moyen et long termes, il est donc difficile de voir ce que la disparition de Nasrallah change pour le Liban.
Passer du militaire au politique
Dans l’immédiat, l’opération israélienne était le prologue d’une intervention militaire terrestre dont nul ne connaît l’ampleur et la durée. Tout dépendra de la capacité combative résiduelle du Hezbollah après les coups durs qu’il vient de subir. En 2006, face à une offensive comparable de Tsahal, il avait infligé de lourdes pertes à l’ennemi sans pouvoir l’arrêter. Les Israéliens disent ne pas vouloir faire de vieux os au Liban mais l’embourbement est toujours un risque. De toute façon, que vont-ils y faire si ce n’est y détruire des infrastructures qu’on reconstruira et tuer des ennemis qu’on remplacera ?
Par ailleurs, Téhéran a subi, depuis plusieurs mois, de telles humiliations à la face du monde, dont la décapitation du Hezbollah n’est que la dernière, que son statut de grande puissance régionale en était menacé. Le régime iranien s’est donc senti acculé à réagir bien qu’il ne soit pas suicidaire et soit conscient de l’écrasante supériorité d’e son ennemi. Il l’a fait par un nouveau tir massif de missiles presque aussi inefficace que le précédent. Israël se doit de réagir. Là aussi, une violence plus ou moins dévastatrice ne règlera rien.
Une vérité est désormais patente au Moyen-Orient : Israël y exerce une hégémonie militaire de fait, ce qui n’est pas pour déplaire à ses alliés arabes du Golfe. Cela étant, les succès tactiques qu’il vient de remporter ne font pas une stratégie. Le recours exclusif à la force n’a jamais rien construit. La politique israélienne ressemble de plus en plus à une course en avant dont on ne voit pas l’issue. Quand on a un gros marteau, tout problème ressemble à un clou. Nous avons l’impression de vivre une nouvelle manche d’un éternel conflit qui appellera tôt ou tard une autre vague de violence.
Ni à Gaza, ni au Liban, ni face à l’Iran, rien ne sera résolu tant que la communauté internationale ne pèsera de tout son poids pour passer du militaire au politique. Une majorité de pays arabes se dit prête à s’engager dans cette voie. Peut-être les États-Unis se réveilleront-ils après les élections américaines ? J’en doute.