La doctrine de Donald Trump n’est guère différente de celle de George Washington ou James Monroe. L’Europe se retrouve seule.
Il est difficile de l’admettre, mais derrière les contrevérités, les vantardises et les contradictions de Donald Trump s’exprime une vision du monde dont la cohérence s’affirme de plus en plus au cours de son second mandat. Le monde serait une jungle où le fort impose sa volonté au faible. Les États-Unis appartiennent évidemment à la première catégorie, et tant pis pour les autres. Il en déduit une politique étrangère dont les fondements sont un nationalisme intransigeant qui fait peu de cas du droit, des alliances et des amitiés tout en exprimant une hostilité résolue au recours à la force.
D’ailleurs, à Riyad, le 14 mai 2025, il a prononcé un discours qui reprend ces éléments et qui mérite d’autant plus d’être relevé qu’il ne nous a guère habitué à conceptualiser sa politique. Or, c’est le cas en l’espèce : il nous y livre bel et bien un programme. On pourrait n’y voir que la fantaisie d’un homme dont on sait qu’il n’est lié ni par les précédents ni par les usages mais il s’avère que ses propos correspondent au néo-isolationnisme qui fut aux sources de la démocratie américaine : des États-Unis qui ne seraient intéressés que par le commerce, qui refuseraient d’intervenir dans les conflits qui ne les concernent pas, indifférents aux régimes, ouverts aux amitiés si elles sont profitables mais réticents aux alliances et dotés d’une force assez respectable pour décourager toute agression.
Or, à part le dernier point, nous retrouvons là la politique étrangère qui fut, plus ou moins, celle de son pays jusqu’en 1941. La seule différence réside dans la volonté de se doter d’une force militaire substantielle alors que les États-Unis étaient quasiment désarmés au moment de Pearl Harbor.
Quand les États-Unis refusaient déjà d’être des alliés
En effet, en 1797, dans son discours de fin de présidence, George Washington avait appelé ses compatriotes à ne pas se mêler des affaires européennes. Conjugué à la doctrine Monroe qui, en 1823, faisait du continent américain une chasse gardée de la jeune République, ce fut le fondement d’un siècle et demi de politique étrangère américaine caractérisée par le refus de toute alliance contraignante, la défense unilatérale des intérêts nationaux et le repli sur le continent américain.
Ce n’est pas un détail que Wilson ait refusé, en 1917, que son pays soit considéré comme un « allié », souhaitant qu’il soit un « associé » de l’Entente. C’en est encore moins que le Congrès ne ratifie pas le traité de Versailles, retire hâtivement les troupes américaines d’Europe et laisse seules la France et la Grande-Bretagne face à Hitler. On oublie souvent que les États-Unis ne sont entrés dans la Seconde Guerre mondiale que parce que le Japon les avait attaqués et que l’Allemagne leur avait déclaré la guerre en décembre 1941, 27 mois après les démocraties européennes.
À l’abri dans la forteresse inexpugnable que leur procurait leur situation géographique, ils ont connu un confort, dont ne bénéficiait aucune autre puissance, de pouvoir se tenir à l’écart des conflits et de n’y intervenir que lorsque leurs intérêts les y conduisaient. Nul besoin d’alliance ; nul besoin d’engagement contraignant, la Jérusalem terrestre pouvait rester à l’écart des folies du monde. C’est donc en vain que, en juin 1940, le président du Conseil français, Paul Reynaud, les a appelés à l’aide. Leur amour de la démocratie était comme souvent chez eux platonique.
La fin d’une paternelle hégémonie
S’ils sont sortis de cette réserve en 1945, c’est que la menace soviétique face à l’épuisement de la France et de la Grande-Bretagne les obligeait à prendre en charge la sécurité de notre continent. Par ailleurs, le communisme réveillait leur manichéisme d’origine calviniste. On aurait donc pu penser qu’ils « rentreraient chez eux » en 1990 après l’effondrement du bloc ennemi. Ce ne fut pas le cas, sans doute parce que les élites transatlantiques y trouvaient un intérêt, les Européens pour réduire leurs dépenses militaires sans risque et les Américains pour exercer une paternelle hégémonie sur une région riche et stratégique. Cet intermède finalement artificiel s’achève. Le long terme l’emporte enfin : fidèles à l’enseignement de George Washington, les États-Unis se replient sur leur continent tout en gardant un œil sur la Chine.