Le président des États-Unis a une vision : la politique n’est pas le débat, mais la guerre. Agir compte plus que réussir.
Sa vulgarité, son ignorance abyssale et sa totale absence d’empathie, d’élégance et de retenue nous font trop oublier que Donald Trump a du génie. Oui, du génie, comme l’a prouvé sa réélection à la présidence des États-Unis alors qu’il y a quatre ans, c’était un séjour en prison qu’on lui prédisait et même ses alliés prenaient leurs distances.
Ce serait un euphémisme de dire qu’il n’est pas un intellectuel. Mais le fait est que non seulement il fut le premier à sentir la crise traversée par la société américaine derrière d’excellents chiffres macroéconomiques, mais il a su aussi la capter à son profit et incarner le sauveur suprême que recherchait inconsciemment une population se sentant exclue par un système qu’elle en était venue à détester.
Le génie de Donald Trump va au-delà de cette intuition, souvent rappelée dans cette chronique. Il tient aussi à la gestion quotidienne du pouvoir, se plaçant délibérément en rupture de toutes les traditions et tous les usages du passé. Intéressons-nous à sa tactique, parce qu’elle constitue une sorte de vade-mecum du dirigeant populiste en 2025. Elle tient à quelques affirmations.
Le manichéisme, cœur de tout populisme
La politique, ce n’est pas la gestion de la complexité du réel, mais la constitution d’un camp. Pour y parvenir, il faut affirmer des objectifs clairs sans s’embarrasser de leur faisabilité et sans craindre de susciter le scandale. Tout au contraire, la controverse ainsi suscitée galvanise des partisans en quête de radicalité. Les politiques habituelles ne mènent qu’à des demi-solutions dont ils ne veulent plus. Ils attendent des mesures simples et décisives et il faut les leur fournir, quitte à ce qu’elles n’aient aucune efficacité. Ce qui n’a paradoxalement pas d’importance : agir compte plus que réussir.
La politique, ce n’est pas le débat, mais la guerre. Il faut donc la conduire sans respecter courtoisie, vérité et retenue. C’est la « conflictualité » chère à Jean-Luc Mélenchon. Le manichéisme est le cœur de tout populisme. Dans ce contexte, on recherche la victoire et non l’accord. C’est une guerre de mouvement où il faut contraindre l’ennemi à réagir à des initiatives incessantes. À tout moment, il faut surprendre, voire choquer, ne pas laisser d’instant de répit à une opinion publique soudain détournée de ses habitudes et entraînée dans des directions qu’elle pensait interdites et qu’elle emprunte maintenant avec un mélange d’excitation et de provocation.
Trump sature donc les médias d’annonces, de déclarations et d’insultes qui lui permettent de définir les termes du débat et de rendre progressivement crédible ce qui était hier impensable, en tout cas indicible. À force de lui répondre, ses adversaires n’existent plus que par rapport à lui au lieu de construire une alternative politique globale.
La politique, en démocratie, c’est s’assurer du soutien du plus grand nombre et non acquérir l’estime des élites, aujourd’hui reniées. Il faut donc créer et entretenir un lien direct avec la base électorale en passant par-dessus la tête des télévisions et journaux traditionnels, ce qui conduit à l’usage d’un vocabulaire volontairement direct et simpliste et au recours privilégié aux médias sociaux et aux « influenceurs ». Les faits s’y effacent devant les émotions qu’on y excite délibérément. Accumuler les contre-vérités dans le monde de la post-vérité, cela ne suscite que de rares réactions – que bien peu entendent.
Comment répondre à Donald Trump ?
En politique étrangère, c’est dans l’instant qu’on agit, ni par rapport au passé, ni en pensant à l’avenir. Rien ne compte, traditions, alliances, amitiés, si elles empêchent les États-Unis de faire ce qu’ils veulent au moment où ils le veulent. Chaque dossier doit être traité sur ses propres mérites, avec comme seul objectif l’intérêt immédiat du pays, auquel tout doit être subordonné.
De même, il faut établir un rapport de force avant même que la négociation ne commence afin d’en déterminer d’entrée l’équilibre. L’objectif doit en être de prouver que les États-Unis imposent leur volonté du fait de leur puissance et de leur disposition à utiliser leur force. Les relations internationales ne sont que la domination des plus forts.
Enfin, dans tous les cas, l’essentiel reste de crier victoire quoi qu’il arrive. Il ne faut jamais parler de compromis. On transforme tout contentieux en conflit existentiel, tout accord en triomphe décisif. La politique, c’est la victoire d’un camp, celui du « peuple », et la défaite de celui des élites ; celle des États-Unis aux dépens de tous les pays qui ont abusé de leur bonté et de leur faiblesse. La réalité, c’est ce que relaient les médias.
Comment répondre à Trump, qui ne respecte aucune des règles implicites ayant défini le combat politique depuis des décennies ? Nul n’a jusqu’ici trouvé la réponse : ses adversaires découvrent que la raison pèse peu face aux passions. Ils se trompent de champ de bataille en invoquant les usages du passé. En effet, ils combattent Trump où il n’est pas ; il n’a que faire de leurs indignations ; il les utilise même pour prouver ainsi à ses partisans qu’il brise le pouvoir des élites en méprisant ostensiblement leurs règles. Peut-être faudrait-il crier aussi fort que lui ? En tout cas, de quoi donner à réfléchir en France pour 2027…