31 janvier 2022 : CHRONIQUE. Guerre en Ukraine, retour du Covid, rivalité entre Pékin et Washington… L’année écoulée confirme la fin de la « mondialisation heureuse ».
Le temps est venu des bilans après une année 2022 pour le moins agitée et imprévisible. Rappelez-vous : elle avait pourtant bien commencé. L’humanité semblait sortir enfin du cauchemar du Covid et l’économie repartait à un bon rythme, comme si elle avait surmonté sans difficulté l’à-coup brutal de l’arrêt imposé par le confinement. Mais progressivement, tout s’est déréglé. L’infusion massive de crédits budgétaires par les États dans l’économie sans qu’une production ne leur corresponde a relancé l’inflation, mal que le monde occidental pensait avoir définitivement écarté.
S’y est ajoutée, de manière totalement inattendue, la « grande démission », qui voit les salariés fuir certaines professions. Je me méfie des anecdotes transformées en vérités universelles, mais j’ai à cet égard entendu les mêmes sons de cloche que ce soit en France, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Voilà un défi supplémentaire pour des sociétés occidentales toujours travaillées par le populisme. La France y a échappé pour cette fois encore, mais l’Italie y a, de nouveau, succombé.
C’est dans climat morose qu’a éclaté, comme un coup de tonnerre l’agression russe en Ukraine. La guerre inter-étatique était de retour sur un continent qui pensait l’avoir exclue à tout jamais grâce à la combinaison de la garantie américaine et de la coopération promue par l’UE. Le 24 février, la Russie a tourné durablement le dos à l’Europe. L’histoire et la géographie ont évidemment coloré différemment la réaction des pays européens. On n’a légitimement ni la même vision ni les mêmes souvenirs de la Russie que l’on soit à Varsovie, à Tallinn, à Rome ou à Paris.
Néanmoins, si les cahots n’ont pas manqué, les Européens sont restés unis. Fort du soutien occidental, l’Ukraine a réussi à arrêter l’offensive de l’envahisseur et s’installe dans un conflit destructeur et sanglant. La Russie a réagi en coupant l’approvisionnement en gaz de ses clients européens qui, du jour au lendemain, ont dû changer profondément leur mix énergétique. L’Allemagne, dont l’industrie bénéficiait d’une énergie pas chère, est frappée de plein fouet.
Unis dans l’épreuve, les Occidentaux ont découvert qu’ils étaient seuls. Non seulement le reste du monde s’est gardé d’adopter des sanctions contre Moscou, mais on sort volontiers le tapis rouge pour accueillir les visiteurs russes. Certains n’approuvent pas l’agression contre un État membre des Nations unies, mais ils préfèrent ne pas s’en mêler. Derrière cette neutralité triomphe le réalisme le plus cru qui a toujours caractérisé les relations internationales, mais il n’est pas interdit d’y déceler le ressentiment qu’on nourrit à l’égard des anciennes puissances coloniales et d’un Occident sûr de lui et dominateur, adepte du double standard et du recours à la force.
Pourquoi défendre l’Ukraine et pas l’Irak en 2003 ? nous fait-on parfois remarquer. On n’est pas loin d’y penser que c’est une « affaire de Blancs ». Pas de quoi me surprendre après mon expérience aux Nations unies, où j’avais senti l’hostilité qu’y suscitait l’arrogance donneuse de leçons de l’Occident. Voilà une fracture du monde qu’il faudra surmonter.
Biden vs Xi
Dans ce monde qui se fragmente, nous avons senti, de nouveau, à quel point le destin de l’Europe dépend de la politique américaine. Sans la fermeté des États-Unis aux côtés de l’Ukraine, la Russie aurait probablement surmonté la résistance de ce pays quel qu’en soit le courage. Washington a ainsi spectaculairement confirmé son engagement pour la sécurité européenne. Il est donc loin le temps où le président de la République évoquait la « mort cérébrale » de l’Otan. Jamais le parapluie américain n’a paru à ce point existentiel pour nos partenaires européens. On est loin de l’autonomie stratégique dont ne parle que la France.
Alors qu’attendre des États-Unis ? L’administration Biden s’est bien sortie des élections à mi-mandat en augmentant sa majorité au Sénat et en ne perdant que de peu celle à la Chambre. Le pays a vécu ce résultat médiocre pour les Républicains comme un échec de Trump. La présidentielle de 2024 est donc loin d’être jouée. En tout cas, Joe Biden sort personnellement conforté de l’épreuve.
Enfin, 2022, ce fut la réélection sans précédent de Xi Jinping pour un troisième mandat dans le contexte de durcissement d’un régime des instances duquel ont été exclus tous ses opposants. 2022, pour la Chine, ce furent aussi les bruits de bottes autour de Taïwan après des gestes malheureux des États-Unis ; le renoncement soudain à la politique du zéro Covid, le ralentissement de la croissance et les sanctions américaines. L’incertitude pèse pour la première fois depuis un demi-siècle sur un pays dont on prédisait hier l’ascension irrésistible face aux États-Unis. On peut aujourd’hui se demander si ce qu’on nous présentait comme le « modèle chinois » a atteint ses limites.
On le sentait déjà ; 2022 l’a confirmé. Nous sortons de la mondialisation qu’on espérait heureuse et dont la Chine était la première bénéficiaire. Le commerce n’adoucit pas les mœurs. La guerre n’est pas un archaïsme. Les peuples ressentent le besoin de frontières. L’ordre occidental se délite sous l’œil indifférent, voire satisfait du reste du monde, mais les États-Unis, quoi qu’on dise, ont prouvé en 2022 qu’ils sont encore aujourd’hui la première puissance mondiale. Seule leur volonté d’en assurer ou non les responsabilités peut en atténuer les effets.