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Qu’est-ce qu’une bonne politique étrangère ?

LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. Les affaires étrangères sont une jungle, dans laquelle un État se démène pour survivre et prospérer.

J’éprouve toujours des difficultés à définir ce que serait une bonne politique étrangère pour notre pays quand on m’en demande la définition. Mon interlocuteur, lui, se référera volontiers au général de Gaulle et, pour certains, à François Mitterrand comme des modèles, mais il est embarrassé quand, à mon tour, je lui demande de me donner des exemples précis de leurs succès qui peuvent justifier leur statut prestigieux. C’est qu’il est la plupart du temps difficile, voire impossible d’attribuer un résultat tangible et substantiel à une politique étrangère.

La meilleure image des relations internationales pourrait être un vaste marché planétaire où des États tentent de réguler leurs relations pour assurer leur sécurité et défendre leurs intérêts sur la base des rapports de force qui existent entre eux dans la certitude qu’aucun juge ni gendarme ne viendrait à leur aide en cas de problème grave. Le fort impose donc sa volonté au faible s’il y a intérêt, sauf si celui-ci s’est doté d’alliés fiables. Il peut le faire par les armes, mais, la plupart du temps, il lui suffit d’élever la voix ou de recourir à des moyens de pression économiques, politiques ou financiers.

Les occasions de le faire sont innombrables, à la mesure de l’intensité des relations de toute sorte qu’entretiennent aujourd’hui les États. On protège un investissement, on impose un fournisseur, on refuse une réglementation, on défend son marché : c’est la réalité compétitive presque quotidienne de relations internationales qui, Dieu merci, conduisent aussi à des coopérations, voire à des alliances. C’est dans cette jungle qu’un État doit survivre et prospérer.

Ce n’est pas un jeu d’échecs qu’on pourrait confier à des ordinateurs dans la mesure où la perception des menaces et la définition des intérêts dépendent non d’une réalité objective qui s’imposerait d’elle-même à tous les acteurs, mais d’un ensemble incohérent de souvenirs, d’aspirations, de peurs et de convictions qui fonde, la plupart du temps, les réactions des opinions publiques et conduit aux décisions de dirigeants dotés eux-mêmes de leur propre idiosyncrasie. Chacun prétend tenir compte de la réalité, mais chacun la voit avec des verres de lunettes plus ou moins teintés…

Comprendre le monde de Poutine ou de Xi Jinping
Dans ces conditions, une bonne politique étrangère se définit par l’indépendance qu’elle préserve, par la prospérité qu’elle permet et par l’influence qu’elle autorise. Pour y parvenir, elle doit commencer par une appréciation réaliste des rapports de force et des intentions des autres acteurs puisque celle-ci définit le champ du possible dans lequel elle doit déployer ses efforts pour réussir. Il faut en effet savoir non seulement ce qu’on peut, mais aussi ce que les autres veulent et peuvent.

Essayer de comprendre la vision du monde de Poutine ou de Xi Jinping est indispensable pour anticiper leurs initiatives. Nous n’avons pas su le faire en Ukraine ; ne rééditons pas cette erreur à Taïwan. C’est le stade de l’analyse la plus froide possible. Experts et diplomates sont à la manœuvre.

Dans un monde complexe, il faut naviguer avec des idées simples. Dans le cas de la France, elles sont au nombre de quatre : l’indépendance nationale, l’entreprise européenne, la fidélité aux alliances et le maintien d’une voix singulière. Depuis la fondation de la Ve République, elles correspondent à un consensus national avec d’inévitables nuances et évolutions liées aux événements intérieurs et extérieurs, mais l’essentiel n’a pas été remis en cause. Il n’y a aucune raison qu’il le soit aujourd’hui, même s’il doit être adapté aux défis du moment.

Le cadre conceptuel ne suffit pas. Encore faut-il y mettre la manière. C’est là qu’en général, les Français ne sont pas à leur meilleur. Peut-être parce qu’après le traumatisme de 1940, nous voulons en permanence prouver notre statut de grande puissance, ou parce que notre génie national nous fait toujours identifier nos positions au diktat d’une raison universelle ou simplement par cette arrogance qu’on nous reproche partout, nous sommes souvent incapables d’élaborer le compromis auquel se réduit toujours une décision internationale.

Nous montons sur la scène quitte à recevoir des tomates sans avoir pris le temps de consulter nos partenaires, qui apprennent nos propositions par la presse ; nous nous donnons le premier rôle sans en avoir la légitimité ou les moyens ; nous ignorons les intérêts des autres ; nous parlons haut et fort quand il faut chuchoter à l’oreille. Cela étant, notons pour nous consoler qu’en Europe, par exemple, il est peu d’initiatives qui n’aient trouvé leur origine à Paris. Brouillons, insupportables et vaniteux, mais imaginatifs… Chacun son rôle.

Les options fondamentales, la diplomatie française les a cultivées avec une remarquable cohérence depuis 1959. Les rapports de force ont à ce point varié qu’elles ont pu changer de hiérarchie ou d’expression mais elles n’ont jamais disparu. Quant aux défauts, je laisse le lecteur juge… Au Quai d’Orsay, nous avions l’habitude de dire que « si nous avions la puissance des Américains, nous serions encore pires qu’eux », c’est dire. Nos dirigeants pourraient écouter nos diplomates : le « comment faire » est parfois aussi important que le « quoi faire ».

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