CHRONIQUE. Un bon diplomate sait qu’il est nécessaire de parler avec l’ennemi dans l’espoir de l’amener progressivement vers un accord de paix.
Dès son élection en 2017, Emmanuel Macron avait invité Vladimir Poutine à inaugurer avec lui l’exposition à Versailles consacrée à la visite qu’y fit Pierre le Grand. Le geste n’allait pas de soi.
La Russie avait annexé la Crimée en 2014 ; elle encadrait et armait les séparatistes du Donbass et, en Syrie, son aviation était venue au secours du régime d’Assad sans se préoccuper des populations civiles soumises à ses bombardements. Le nouveau président de la République ne s’en tint d’ailleurs pas là puisqu’il veilla ensuite à entretenir un dialogue soutenu avec son homologue russe, jusqu’à le recevoir au fort de Brégançon, ce qui lui valut de subir les critiques de nos partenaires polonais et baltes et de la presse américaine.
Emmanuel Macron avait évidemment raison. Nul ne peut effacer la Russie de la carte de l’Europe. Certes, le régime de Poutine est autoritaire ; certes, sa politique étrangère est souvent contraire à nos intérêts et à nos valeurs ; mais la diplomatie, ce n’est pas pour parler seulement à nos amis, mais aussi et peut-être surtout à nos adversaires. Il fallait rechercher des compromis avec la Russie, et comment faire autrement que de s’adresser au seul homme qui compte à Moscou ? Après tout, Emmanuel Macron a fait la même chose lorsque Trump était au pouvoir. En tant qu’ambassadeur à Washington, j’étais souvent obligé de dire au Quai d’Orsay que la seule manière de faire passer un message aux Américains dans un système où Trump et lui seul savait et décidait était que le président appelle directement son homologue. Ce qu’il fit souvent. Garder le contact ne signifie pas être d’accord mais pouvoir à la fois essayer de deviner ce que pense et prépare l’interlocuteur et l’influencer dans la bonne direction.
Nulle surprise donc que, lorsque la Russie a suscité la crise actuelle avec l’Ukraine, Emmanuel Macron ait essayé d’éviter le pire. Qu’il ait échoué, comme d’autres d’ailleurs, ne condamne pas sa démarche. Il fallait tout faire pour sauver la paix. Nul ne pouvait savoir que Poutine avait pris sa décision au moment même où il faisait semblant de se prêter aux démarches diplomatiques.
C’est ça, la diplomatie : parler, parler, parler encore avec l’ennemi dans l’espoir de l’amener progressivement vers un accord.
Le président de la République ne s’est d’ailleurs pas découragé, puisqu’il a continué à avoir des conversations téléphoniques avec le Russe. Il en est aujourd’hui à une vingtaine d’appels. Parler à l’agresseur ? Négocier avec Hitler, pour citer le Premier ministre polonais ? Eh bien oui. L’objectif de tous doit être de mettre fin à cette guerre le plus rapidement possible, et ce ne sera possible que par le biais d’une négociation avec Poutine. Zelensky le sait et a d’ailleurs accepté que des pourparlers se poursuivent entre ennemis alors même que les combats dévastent son pays. Emmanuel Macron le tient régulièrement informé de ses conversations auxquelles il n’a d’ailleurs exprimé aucune objection. C’est ça, la diplomatie : parler, parler, parler encore avec l’ennemi dans l’espoir de l’amener progressivement vers un accord. L’échec est plus souvent au rendez-vous que le succès, mais « bienheureux les pacificateurs » disent les Béatitudes.
Emmanuel Macron, dirigeant réaliste
La tâche du président français est d’autant plus ingrate qu’il se heurte à deux clichés hérités des erreurs qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale. Toute négociation devient un Munich, ce qui est quelque peu ironique venant des Polonais qui y ont pris part mais du côté des Allemands, en arrachant, en 1938, une livre de chair, Teschen, à la malheureuse Tchécoslovaquie ; ironique aussi venant des Américains qui refusaient alors d’accorder le moindre soutien aux démocraties européennes. Tout agresseur devient un Hitler. Oublions ces parallèles dérisoires d’où personne ne sort intact et qui n’expliquent rien. Ils sont d’ailleurs insultants pour les quarante millions de victimes de la plus grande tragédie humaine.
De même, évitons l’escalade rhétorique qui fait de l’ennemi un Hitler, un « boucher » ou un « génocidaire », puisque nous savons que nous devrons négocier avec lui, nous savons même qu’il faudra sans doute lui faire des concessions. Quelle serait la logique d’expliquer ensuite aux opinions publiques que, après tout, ce nouvel Hitler est devenu, du jour au lendemain, un interlocuteur fréquentable ? Ne peut-on sortir des effets de manche du très court terme pour regarder un peu plus loin ?
Dans cette affaire, Emmanuel Macron est un dirigeant réaliste qui éprouve les mêmes émotions que quiconque au spectacle des horreurs dont se rendent responsables les envahisseurs russes, mais il sait que la meilleure manière d’y mettre un terme rapidement, ce n’est pas de vouer aux gémonies le responsable de ces atrocités, mais c’est de le convaincre qu’il est de son intérêt de rechercher un accord de paix avec l’Ukraine. Ce n’est apparemment pas satisfaisant pour la morale qui voudrait que l’agresseur soit puni, mais, de ce point de vue, n’est-il pas infiniment plus important de faire cesser les souffrances de millions d’Ukrainiens que de tirer vengeance de Poutine ? C’est ce qu’a compris Emmanuel Macron, quitte à susciter la colère d’un Premier ministre polonais qui se satisfait fort que les Ukrainiens livrent bataille contre l’ennemi héréditaire sans que son pays ne coure le moindre danger à l’abri de l’Otan. Il y a des colères qui honorent.
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