You are currently viewing Plaidoyer pour un gaullisme 2.0

Plaidoyer pour un gaullisme 2.0

LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. Dans un monde en recomposition, le vieil adage gaulliste « allié ne signifie pas aligné » reste d’actualité.

Même si la géographie et l’histoire lui imposent leur permanence, la politique étrangère doit s’adapter aux évolutions parfois dramatiques de l’environnement international. À ce titre, elle ne peut se résumer à la mise en œuvre d’une doctrine ou à la fidélité à un héritage. Les temps que nous vivons illustrent cette tension entre continuité et pragmatisme parce qu’ils correspondent à un bouleversement des rapports de force internationaux alors que le retour de la guerre sur notre continent nourrit toutes les peurs. On s’accroche alors aux « illustres anciens », de Gaulle et Mitterrand, sans comprendre que le monde qui était le leur n’a plus rien à voir avec le nôtre et encore moins avec celui qui se dessine sous nos yeux.

Il ne s’agit pas de renier leurs enseignements mais d’en retenir les principes quitte à en revoir l’application. La politique étrangère du général de Gaulle, qu’a prolongée François Mitterrand, se fondait sur quatre piliers, la fidélité aux alliances, l’engagement européen, l’indépendance nationale et l’expression d’une voix singulière. Ce n’est pas pour rien que le fondateur de la Ve République a toujours été d’une grande fermeté aux côtés de nos alliés américains face aux entreprises soviétiques, notamment au moment des crises de Berlin et de Cuba et que c’est lui qui a mis en œuvre le traité de Rome créant la Communauté économique européenne, qui venait juste d’être signé.

La France, une diplomatie au cœur de l’Union européenne
De toute façon, quelle qu’en soit la concrétisation institutionnelle, ce n’est que du bon sens que de constater que la sécurité et la prospérité de notre pays sont inséparables d’une étroite coopération avec nos voisins européens. Elle dépend également du maintien du statu quo territorial sur notre continent, qui, depuis l’effondrement du bloc communiste, assure à notre pays une sécurité sans précédent dans son histoire. Dans ce contexte, la France n’a aucun intérêt à accepter que soit remise en cause une situation qui lui est à ce point favorable en laissant ouvrir la boîte de Pandore des revendications territoriales ou en tolérant que la Russie, puissance perturbatrice des équilibres européens depuis le XVIIIe siècle, ne se rapproche des frontières de nos partenaires et alliés et donc des nôtres du fait de nos engagements à leur égard. Le soutien de la France à l’Ukraine n’est que la concrétisation de cette analyse réaliste de nos intérêts. Par ailleurs, en l’absence d’une défense européenne crédible dont ne veulent pas nos partenaires, l’alliance avec les États-Unis reste un impératif.

Mais, c’est également le moment de répéter plus que jamais le vieil adage gaulliste qu’« allié ne signifie pas aligné ». Plus que jamais parce que la guerre en Ukraine et l’apparition progressive d’une multipolarité peuvent susciter un réflexe obsidional de resserrement des rangs des pays occidentaux confrontés à la fin de leur suprématie. Fluide, imprévisible, insaisissable, anomique, le monde qui se dessine aujourd’hui n’offre que l’incertitude comme horizon. La tentation est alors grande de lui imposer une grille d’analyse simple pour répondre au désarroi, aux inquiétudes et aux interrogations des opinions publiques, par exemple en invoquant une prétendue lutte entre démocraties et autocraties, entre un bloc occidental et le reste du monde. Ce serait alors une réédition de la guerre froide avec des Européens réunis derrière les États-Unis dans la conviction que, puisqu’ils font appel à ceux-ci face à la Russie, ils doivent leur rendre la pareille face à la Chine. L’Otan deviendrait une organisation globale dont les intérêts de sécurité iraient de l’Ukraine à Taïwan.

La France n’a aucun intérêt à s’engager dans cette voie. En premier lieu, aucune menace directe et immédiate ne nous contraint à nous enfermer dans un camp et à nous priver de toute liberté de manœuvre. Ce serait, par ailleurs, oublier les pays qui, de l’Inde à l’Indonésie et de l’Afrique du Sud au Brésil, ne veulent pas se retrouver entre l’enclume chinoise et le marteau américain. Certes, leurs intérêts et leurs valeurs ne sont pas toujours les nôtres mais nous pouvons, au cas par cas, sur un pied d’égalité, contribuer avec eux à fluidifier les relations internationales et à éviter qu’elles ne soient qu’une confrontation entre deux blocs. Par ailleurs, l’humanité, quelque divisée qu’elle soit, affronte des défis globaux : changement climatique, avenir des océans, gestion du cyberespace, réglementation de l’intelligence artificielle, lutte contre le terrorisme, rôle des cryptodevises autant de sujets où aucun État si puissant soit-il ne peut se débrouiller tout seul.

La France pourrait, dans le cadre de l’Union européenne ou seule sinon, jouer le rôle de catalyseur pour ouvrir la voie de la coopération internationale au-delà des inévitables différends. Elle ne pourrait y prétendre que si elle conserve son individualité dans un équilibre délicat entre sa nature de pays occidental et sa volonté de ne pas se résumer à elle. En d’autres termes, après avoir été gaulliste dans la guerre froide, elle doit le redevenir dans la multipolarité mais d’un gaullisme 2.0 fruit d’un pragmatisme qui fut toujours celui du Général.

LE POINT