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Ukraine : le temps du réalisme est venu

LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. L’élection de Donald Trump à la Maison-Blanche annonce un changement de posture de la part des alliés de Kiev.

Qu’on se souvienne : il y a deux ans, galvanisés par la courageuse résistance ukrainienne à l’agression, on appelait à la défaite totale de la Russie et au retour aux frontières de 1991. Émettre des doutes revenait à se faire l’avocat de Poutine. Qu’importait la disproportion des forces, qu’importait le pessimisme publiquement exprimé par le chef d’état-major américain, le Bien devait l’emporter sur le Mal. Les Européens faisaient chorus pour promettre à Zelensky leur soutien quel qu’en soit le coût et pour repousser avec horreur toute notion de compromis qui récompenserait l’agresseur.

Et puis la réalité a repris ses droits. L’envahisseur, qui avait conçu son intervention comme une opération rapide et courte, a dû revoir ses plans, quitte à renoncer à des territoires qu’il avait occupés. Il a mobilisé sa puissante industrie de défense et a renforcé ses effectifs. Un pays de 140 millions d’habitants bandait ses forces pour vaincre un voisin plus pauvre, qui n’en compte plus que 28. Pourtant, l’Ukraine, loin de céder, a tenu bon grâce au courage de sa population et à l’aide occidentale.

« Trop, c’est trop »
Cela étant, après presque trois années d’un conflit sanglant, l’évidence s’impose : non seulement l’Ukraine ne peut pas vaincre la Russie – ce qui avait toujours été une proposition absurde –, mais son armée est à la peine face à un ennemi indifférent à ses pertes, qui utilise à plein sa supériorité en effectifs et en artillerie, atouts essentiels dans une guerre de positions. Les Russes progressent donc inexorablement kilomètre par kilomètre. Nul risque d’une chute de Kiev à ce rythme, leur objectif n’est sans doute pas là mais plutôt d’épuiser leur adversaire jusqu’à ce que son moral lâche comme l’armée allemande à la fin de l’été 1918.

Un moment arrive parfois où des soldats qui ont accepté jusque-là des sacrifices incommensurables sentent soudain que « trop, c’est trop » et abandonnent le combat. On n’a sans doute pas atteint ce point du côté ukrainien, mais le pays, dont les infrastructures sont systématiquement bombardées, est las d’un conflit sans fin et sans espoir. La Crimée et le Donbass – terres désormais russifiées et dévastée pour le second – en valent-ils la chandelle ? se demandent certains qui sont avant tout attachés à l’indépendance de l’Ukraine.

Dans ce contexte, lorsque Zelensky annonce un « plan de la victoire », certains en dénoncent l’irréalisme alors qu’il faut y voir un appel du pied à la négociation. Le président ukrainien, beaucoup plus réaliste qu’on ne le dit, doit tenir compte d’un risque et d’une incertitude. Le premier, c’est l’intransigeance des jusqu’au-boutistes, et la seconde, la disponibilité de Poutine à un compromis raisonnable. Il est contraint de tâter le terrain avec prudence, mais il sait qu’il faudra tôt ou tard négocier.

Trump se prépare à agir rapidement
Or, un président américain vient d’être élu, qui annonce haut et fort sa volonté de mettre un terme au conflit le plus rapidement possible. Déjà, J.-D. Vance, le futur vice-président, a esquissé les grandes lignes de ce qui serait, selon lui, un accord acceptable pour les États-Unis, à savoir un armistice sur les lignes de front actuelles et la neutralité de l’Ukraine.

Citant des sources proches du président élu, le Wall Street Journal est allé plus loin, cette semaine. Dans le détail : l’armistice serait garanti par une présence des Nations unies ; l’Ukraine s’engagerait pour vingt ans à ne pas rejoindre l’Otan, mais pourrait continuer à s’armer comme elle l’entend ; les États-Unis ne participeraient ni à la défense ni à la reconstruction de ce pays, confiées aux Européens.

Le diable est dans le détail, mais ces bases ne manquent pas de réalisme à la lumière de la situation sur le champ de bataille, seul critère de l’issue d’une guerre. En tout cas, ces déclarations et ces fuites prouvent que Trump se prépare à agir rapidement pour engager une négociation avec la Russie.

Les Européens s’y résigneraient probablement
Dans le cas d’un accord russo-américain, que feraient les Européens ? Oublions les discours d’une fermeté romaine de nos dirigeants, regardons les faits. Après trois années de guerre, l’Europe est incapable de fournir le tiers des munitions que vend à la Russie la Corée du Nord, dont le PIB égale celui de l’Isère…

Rappelons-nous le tollé qu’avait suscité la proposition d’Emmanuel Macron d’envoyer des soldats formateurs sur le territoire ukrainien. Les opinions publiques européennes conservent leur sympathie pour la cause ukrainienne, mais elles ne sont pas prêtes à payer plus cher pour la concrétiser en argent et encore moins en hommes. D’ailleurs, leur attention s’en détourne. L’Ukraine doit se sentir bien seule aujourd’hui.

Dans ce contexte, si Russes et Américains parvenaient à un accord, quels qu’en soient les termes, les Européens s’y résigneraient probablement. Cela étant, Poutine peut décider de pousser son avantage et refuser les avances américaines dans la certitude que les États-Unis laisseraient faire.

Nul ne sait alors, d’une part, comment Trump réagirait entre raidissement guerrier et abandon de l’Ukraine à son sort et, de l’autre, si les Européens soutiendraient le premier ou pallieraient le second. En tout cas, l’Ukraine risque d’être le premier test de la politique étrangère du second mandat de Donald Trump.

LE POINT

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