CHRONIQUE. Retraites, fiscalité, innovations… Les débats à l’Assemblée nationale sont indignes des enjeux actuels. Ils donnent l’image d’une France hors du monde.
La France redécouvre le parlementarisme en l’absence de majorité à l’Assemblée nationale. En théorie, il n’y a là rien de tragique. C’est le jeu normal de la démocratie représentative que connaissent nos partenaires européens. La France qui avait oublié depuis 1962 les charmes quelque peu vénéneux des jeux parlementaires en est stupéfaite, tandis que ses partis refusent de comprendre que ceux-ci supposent des compromis.
Pour ma part, j’en retiens, avec consternation, le fait que les débats qui ont conduit à la chute du gouvernement se sont déroulés comme si notre pays vivait dans un merveilleux isolement qui le mettait à l’abri du vaste monde. L’économie mondiale aborde une révolution technologique, principalement fondée sur l’intelligence artificielle, qui s’annonce encore plus brutale et plus rapide que prévu. Des millions d’emplois seront touchés. La Chine et les États-Unis s’engagent résolument dans la voie des technologies de rupture. Dans cette course, l’Europe est marginalisée entre surrégulation, faiblesse de sa recherche et manque de financement.
Notre continent devient une maison de retraite et une destination de vacances.
Demandez à un entrepreneur européen ce qu’il doit faire lorsqu’il atteint un certain niveau de réussite. La réponse sera le plus souvent : le départ aux États-Unis pour y bénéficier d’un marché financier abondant et innovant qui ne recule pas devant le risque. Mais l’Europe, non contente d’être déjà en retard, recule en termes relatifs. L’écart avec les États-Unis se creuse, pire la productivité y stagne ou même diminue.
J’ai visité en Californie les usines de Tesla et de SpaceX : d’immenses espaces immaculés où circulent à vélo de rares ouvriers en blouse blanche qui s’activent autour de robots fonctionnant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Notre continent devient une maison de retraite et une destination de vacances. Pourquoi pas après tout, me répondrez-vous. Encore faut-il que nous ayons les moyens de les entretenir sans casser une croissance déjà faible. La qualité de vie, ça se paie.
En avez-vous entendu un mot sur les bancs de notre Assemblée nationale ? Tout au contraire puisque le consensus était de taxer et de taxer encore nos entreprises, comme si elles ne faisaient pas face à des concurrents internationaux qui sont soumis à des charges inférieures aux nôtres. Il faut « faire payer les riches » comme si notre époque ne permettait pas une expatriation relativement facile sous des cieux fiscalement accueillants.
Le débat sur les retraites est un autre exemple du provincialisme de notre classe politique.
Ambassadeur aux États-Unis, où ma mission était d’attirer les investisseurs américains dans notre pays, j’ai pu constater qu’Emmanuel Macron avait réussi à casser l’image négative qu’ils avaient souvent de la France, pays d’impôts, de grèves et de bureaucratie. Les chiffres récents des investissements étrangers sur notre territoire prouvent ce succès.
Ce serait désastreux de le remettre en cause comme le débat parlementaire a paru l’annoncer en reprenant l’escalade fiscale. Le débat sur les retraites est un autre exemple du provincialisme de notre classe politique : nos partenaires européens ont progressivement adopté des âges de départ en retraite supérieurs aux nôtres pour d’évidentes raisons démographiques. Nul ne peut soupçonner les pays scandinaves d’ultralibéralisme, et pourtant voici une majorité parlementaire déterminée à aller dans le sens inverse. La réforme récente doit peut-être être revue, mais comment se fait-il que nul ne se réfère à l’exemple d’autres États à la logique sociale proche de la nôtre, confrontés au même défi que nous ? Comment peut-on penser que la France peut impunément ignorer leurs leçons et avoir raison contre tous ?
Nul ne m’a jamais accusé d’être un « ultralibéral » ; je suis farouchement attaché à notre État-providence ; je connais trop bien les États-Unis pour en faire un paradis et un modèle. L’écart de l’espérance de vie entre les deux rives de l’Atlantique rappelle également que, derrière des choix économiques, il y a aussi des visions politiques et morales d’une société. Cela étant, avant de partager la richesse, il faut la produire, la produire ce qui signifie accroître la productivité du travail, la produire en économie ouverte ce qui exige que nos entreprises soient compétitives, et la produire au moment où une révolution technologique prend son envol, ce qui conduit à favoriser l’innovation.
La France n’est le petit village d’Astérix que dans une bande dessinée.
Voilà les vrais enjeux dont vous n’avez pas entendu parler sur les bancs de l’Assemblée et dont je parie que vous n’entendrez, hélas, pas parler dans la crise politique qui vient. Ils sont internationaux dans leur origine, mais aussi dans leurs conséquences. La France, grand pays exportateur, ne peut les ignorer, sauf à commettre un suicide économique.
La France n’est le petit village d’Astérix que dans une bande dessinée. Elle est partie intégrante d’un monde perpétuellement en flux où tout s’accélère, tout devient plus dangereux. Elle participe à une aventure commune avec des pays qui partagent ses valeurs et sa vision de la société ; elle a pris des engagements à leur égard qu’elle doit respecter. Elle n’est grande que lorsqu’elle est, à la fois, la France du petit village sur la colline et la France du grand large, enracinée mais ouverte sur le monde. Aujourd’hui, elle n’est que la France du café du Commerce et c’est triste.