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La France entre l’enclume marocaine et le marteau algérien

LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. L’arrestation de Boualem Sansal est une réponse à notre changement de politique dans la région. Ne pouvait-on éviter ce qui était prévisible ?

a rivalité entre le Maroc et l’Algérie ne date pas d’hier puisque les deux pays se sont affrontés par les armes dès octobre 1963, à peine un an après l’indépendance du second, dans ce qu’on appelle « la guerre des sables ». Le contentieux trouve son origine dans le tracé de la frontière auquel procéda la France, dans les années 1950, entre le protectorat du Maroc et les départements algériens. Rabat considère que notre pays a avantagé ceux-ci aux dépens de ses droits historiques. Depuis lors, avec des hauts et des bas, les deux voisins n’ont cessé de s’opposer.

Leurs différences idéologiques, monarchie pro-occidentale contre parti unique, économie de marché contre socialisme, n’ont évidemment rien arrangé. L’occupation par le Maroc du Sahara occidental après son évacuation par l’Espagne en 1976 a ajouté un nouveau sujet de discorde dans la mesure où l’Algérie apporte un soutien politique, financier et logistique et offre l’hospitalité au Polisario, le mouvement qui réclame l’indépendance du territoire.

Au cours d’une montée de tension entre les deux pays, l’Algérie a d’ailleurs fermé leur frontière commune en 1994, malgré les liens humains et économiques qui unissent les populations de ces régions.

Depuis 2021, les relations bilatérales se sont de nouveau dégradées. L’Algérie a rappelé son ambassadeur de Rabat, a cessé ses livraisons de gaz et a fermé son espace aérien aux lignes marocaines. Les accusations ont fusé des deux côtés, mais il semble que ce soit le rapprochement israélo-marocain qui ait conduit à ce durcissement de la politique algérienne.

Une histoire commune
Dans ce contexte troublé aux multiples rebondissements, la position de la France a toujours été délicate. En effet, étant donné notre histoire commune et l’importance des liens qu’entretiennent les deux adversaires avec notre pays, chacun n’a de cesse de nous attirer de son côté et de voir tout geste en direction de l’autre comme un acte hostile à son égard.

Pour compliquer le funambulisme auquel la diplomatie française est donc condamnée, l’Algérie y ajoute une agressivité de commande, qui la conduit à nous prendre régulièrement à partie. Tous les présidents français ont cru la désarmer et tous ont échoué. On n’attire pas les mouches avec du vinaigre et Dieu sait si les Algériens sont prodigues en vinaigre… et les Marocains en miel. Toute présidence française « commence donc à Alger et finit à Rabat ».

Changement de paradigme américain
Cependant, cette fois, ce n’est pas l’Algérie, mais le Maroc qui nous a mis dans la position difficile où nous nous trouvons aujourd’hui. En effet, la France a toujours défendu ses intérêts au Conseil de Sécurité lorsque sa présence au Sahara occidental y était mise en cause, ce qui était régulièrement le cas à l’instigation de l’Algérie. Nous ne reconnaissions pas sa souveraineté sur le territoire par respect du droit international mais, dans les faits, nous la confortions.

Tout a changé quand Trump a brutalement déclaré que le Sahara occidental était un territoire marocain. L’Espagne a évolué dans le même sens sans aller aussi loin. Le Maroc en a apparemment conclu que le soutien de la France n’était pas suffisant et qu’elle devait imiter les États-Unis. Pour y parvenir, il a délibérément suscité une crise dans les relations bilatérales en jouant, par ailleurs, de maladresses de Paris dans la gestion des visas.

Funambulisme
Un crescendo de plaintes et de mesures de rétorsion a suivi dans un climat de dramatisation délibérée repris par des élites françaises volontiers proches de Rabat. De passage à Tanger, en 2022, j’ai passé deux jours à entendre interlocuteurs marocains et expatriés français me dirent sur tous les tons à quel point la situation était grave. Ce n’était pas neutre : le Maroc reste un de nos premiers partenaires économiques, politiques et humains. Il fallait donc en sortir mais en gardant à l’esprit nos intérêts en Algérie.

C’était à un nouvel exploit de funambulisme que notre diplomatie était appelée. Nous ne l’avons pas tenté et nous sommes tombés franchement d’un côté en reconnaissant officiellement la « marocanité » du Sahara occidental. Naturellement, le Quai d’Orsay s’est empressé de dire qu’il n’y avait rien de nouveau dans cette expression. Ni Rabat ni Alger n’en ont été convaincus, le premier triomphant et le second protestant. La visite d’État du président de la République au Maroc a d’ailleurs fait justice de nos dénégations en affichant une véritable lune de miel entre les deux pays.

Ce n’est que le début d’une confrontation

La France a donc bel et bien procédé à un changement profond de sa politique dans un conflit qui implique deux de ses plus proches partenaires et a pris parti pour l’un contre l’autre. Connaissant le régime algérien, elle devait s’attendre à des mesures de rétorsion. Elles sont venues, que ce soit le gel des relations économiques ou l’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal, qui n’est qu’une prise d’otage.

Ce n’est que le début d’une confrontation qui sera dure. Je n’éprouve aucune sympathie pour un régime algérien qui reste structurellement hostile à notre pays et dont il est vain d’espérer un changement radical d’attitude à notre égard, mais je crois aux vertus du funambulisme diplomatique…. Ne pouvait-on éviter ce qui était prévisible ? Était-il indispensable de prendre si clairement parti ? Quel en sera le coût ?