LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. Le retrait en vue des États-Unis et l’affaiblissement de l’Europe vont créer un inquiétant « appel d’air » sur la scène internationale.
Une année s’achève. Que retenir de 2024 ? Des guerres, hélas, en Ukraine et au Moyen-Orient, qui ont toutes deux mis en évidence l’impuissance de l’Occident.
Dans le premier cas, Américains et Européens, par choix ou par faiblesse, ont reculé devant l’effort qui aurait été nécessaire pour permettre à l’Ukraine de l’emporter. Ils se sont contentés d’éviter sa défaite mais ils n’ont pu, ou pas voulu, empêcher le bulldozer russe de se mettre en marche et d’avancer kilomètre par kilomètre à coups de milliers de morts. Le brouillard des enthousiasmes irréalistes s’est dissipé et chacun sait aujourd’hui que la question n’est pas la reconquête de territoires définitivement perdus, mais la préservation de l’indépendance d’un pays épuisé et surclassé par son ennemi, ce qui n’est même pas assuré.
Autre guerre, la poursuite des opérations israéliennes à Gaza et au Liban. Là aussi, échec de l’Occident tant Israël fait litière de toutes les prétentions de celui-ci à défendre le droit international. Le silence est assourdissant, de Washington à Berlin en passant par Londres et Paris, alors que deux millions de Palestiniens sont soumis à Gaza à des conditions humanitaires et sanitaires abominables et que la population de Cisjordanie est laissée sans défense face aux violences répétées de colons protégés par les forces de l’ordre ; indifférence qui alimente dans le reste du monde l’accusation justifiée d’un « deux poids deux mesures ».
Comment croire encore à la justice internationale ?
Lorsque l’Allemagne, la France et d’autres cherchent des excuses pour ne pas mettre en œuvre des mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale, comment croire encore à la justice internationale ? Nos prétentions morales sont mortes à Gaza. Dans ce naufrage, les États-Unis méritent une mention particulière : d’une main, ils livrent les bombes qui écrasent le malheureux territoire ; de l’autre, ils supplient en vain Israël d’y mettre les formes et s’accommodent de leur piteux échec à en obtenir la moindre concession.
Il faut dire que, en Occident même, le ver est dans le fruit. En Europe, les trois principaux acteurs traversent des crises qui leur interdisent de peser et d’entraîner leurs partenaires. L’Allemagne est soudain devenue l’« homme malade » du continent. Elle se vivait comme une puissance industrielle exportatrice sous la protection américaine. Voilà que le sol lui manque sous les pieds : des choix énergétiques désastreux, la concurrence chinoise et la menace russe remettent en cause un modèle qui a fait la prospérité d’un pays qui vieillit et qui doit néanmoins se réinventer.
La France sombre dans une crise politique et budgétaire dont on ne voit pas d’issue à court terme, alors qu’elle vient de se faire expulser ignominieusement d’Afrique. Le Royaume-Uni n’a pas trouvé dans la victoire du parti travailliste le sursaut dont il avait besoin après le Brexit.
Au même moment, partout en Europe, tous les voyants économiques se mettent au rouge et semblent annoncer au mieux chez certains un ralentissement de la croissance et au pire une récession. L’Europe se met aux abonnés absents. Ce ne sont pas la Pologne ou l’Italie qui pourraient prendre le relais d’un « moteur franco-allemand » désormais défunt. D’ailleurs, quoi de commun entre leurs gouvernements ?
La radicalisation de Trump
Mais l’événement essentiel de l’année aura été évidemment la réélection de Donald Trump à la présidence. Son importance va bien au-delà de la constatation habituelle que tout ce qui arrive aux États-Unis exerce une influence potentielle sur les affaires du monde, voire sur notre vie quotidienne. En effet, Trump se veut un président de rupture. Il a déjà prouvé qu’il pouvait l’être au cours de son premier mandat, mais il risque d’aller beaucoup plus loin à cet égard au cours du second. Il s’est radicalisé et s’est débarrassé des modérés qui essayaient de le canaliser.
Il annonce haut et fort ses intentions : offensive protectionniste tous azimuts pour protéger l’économie américaine et imposer sa conception d’un commerce « équilibré » – c’est-à-dire à ses conditions – et volonté de réduire les engagements extérieurs des États-Unis, qu’elle passe par une négociation rapide – peut-être bâclée – de la fin de la guerre en Ukraine ou une mise en cause des alliances, en particulier de l’Otan.
Un tournant des relations internationales
Sa vision du rôle de son pays semble être celle d’un géant certes surarmé, mais qui définirait ses intérêts essentiels de manière restrictive, muni d’un « gros bâton » mais pour ne pas l’utiliser. En tout état de cause, c’en est fini du gendarme américain qui, tout maladroit et brutal qu’il était, assurait un minimum d’ordre. C’est aussi le spectre d’une guerre commerciale entre les deux rives de l’Atlantique qui se précise.
Les deux piliers de l’ordre international hérité de 1945 renoncent ainsi à en assurer le maintien, l’Europe par faiblesse et les États-Unis par lassitude, et risquent même de se déchirer. C’est un tournant des relations internationales, le crépuscule d’une suprématie occidentale dans la gestion des affaires du monde. En géopolitique comme ailleurs, la nature a horreur du vide. Affaissement de l’Europe et retrait des États-Unis créent, à cet égard, un « appel d’air ». Les prédateurs auront carte blanche. Quelles conséquences en tireront les Russes, les Turcs, les Iraniens, les Chinois et de moindres sires ?