You are currently viewing L’Europe est-elle condamnée au déclin ?

L’Europe est-elle condamnée au déclin ?

Les Européens sont à la traîne plus qu’au volant des transformations rapides que connaît le monde actuellement.

on seulement l’Europe connaît le retour de la guerre interétatique après la plus longue période de paix depuis la chute de l’Empire romain, mais son environnement immédiat est porteur de menaces. La Turquie étend désormais ses ambitions du Caucase à la Libye, en passant par les eaux territoriales de Chypre et de la Grèce. Au Moyen-Orient, l’Iran se rapproche dangereusement du seuil nucléaire. La Libye n’a pas trouvé son équilibre depuis la chute de Kadhafi. La Tunisie et l’Algérie sont ballottées entre autoritarisme, islamisation et aspiration à la démocratie. Enfin, au sud du Maghreb, l’explosion démographique d’une Afrique dont la population devrait presque doubler au cours des décennies qui viennent annonce l’accroissement dramatique de la pression migratoire.

En dehors des risques géopolitiques, l’Europe doit jouer tout son rôle dans la révolution technologique qui nous attend. A priori, elle dispose des ressources scientifiques pour y parvenir. Or, il n’en est rien : ses chercheurs et ses ingénieurs partent en nombre croissant aux États-Unis où ils sont assurés de trouver les financements nécessaires et le climat favorable à l’entrepreneuriat, dont ils ont besoin. On l’a dit : les États-Unis innovent ; l’Europe réglemente. Ambassadeur à Washington, je n’ai cessé de rencontrer de jeunes Français qui venaient faire fructifier une idée ou un brevet ou qui venaient conduire des recherches. Ils savaient que tout leur serait plus facile outre-Atlantique. On peut se demander si notre continent n’est pas en train de devenir une destination touristique enviée pour ses paysages, ses monuments et sa qualité de vie pendant que l’avenir se forge ailleurs.

Face à ces défis, les Européens sont tout à leurs problèmes intérieurs. Le modèle allemand est brisé. S’appuyant sur une énergie d’origine russe à bon marché, sur ses exportations et la protection américaine, il subit de plein fouet les conséquences de la guerre en Ukraine, de l’abandon de l’énergie nucléaire et de la concurrence chinoise. Son système politique est, de surcroît, ébranlé par le populisme de droite comme de gauche. Fondé sur le consensus, il peine à prendre les décisions difficiles qui s’imposent dans un pays qui, de surcroît, vieillit rapidement et s’accroche à un statu quo jusqu’à récemment très confortable.

Une France affaiblie
De son côté, la France, déjà affaiblie par sa situation budgétaire, s’enfonce dans une crise politique qui risque de durer et ne lui permettra pas de peser au sein de l’UE. La politique étrangère, c’est la projection extérieure d’une puissance intérieure. Une France divisée au gouvernement fragile n’impressionnera guère nos partenaires. Ailleurs, les populismes, qui partout se font entendre (qu’ils parviennent ou non au gouvernement), prônent un nationalisme qui va à l’encontre d’une réponse coordonnée par Bruxelles.

Le « chacun pour soi » d’États dont certains sont au mieux des puissances moyennes, face aux empires qui se réveillent, promettrait des lendemains douloureux. De toute façon, de leur côté, les partis modérés cèdent facilement aux vœux d’une population vieillissante qui demande plus de la protection que de l’innovation. L’UE prend l’allure d’une maison de retraite et non d’une start-up…

Le libre-échange pour les nuls
Les Européens sont donc à la traîne plus qu’au volant des transformations rapides que connaît le monde. Le protectionnisme est de retour, qu’il soit franc comme aux États-Unis ou plus dissimulé comme en Chine, où tout est fait pour encourager les exportations industrielles. La production européenne des panneaux solaires n’y a pas résisté ; celle des véhicules électriques pourrait suivre.

Alors qu’États-Unis et Canada ont imposé des droits de douane de 100 % sur ces exportations chinoises, l’UE n’a pas osé aller au-delà de 37 %. Il est vrai que l’Allemagne, qui réalise 40 % de ses exportations automobiles en Chine, s’y oppose. Hongrie, Suède et Espagne la soutiennent. On sent que Bruxelles se réveille progressivement de son « libre-échange pour les nuls » qui constituait son dogme, alors que tous nos partenaires l’ont jeté aux orties ou n’y ont jamais cru.

Mais, comme d’habitude, étant donné la lourdeur des procédures et la division des États membres, ce sera long et insuffisant. Le rapport Draghi que vient de publier la Commission, qui propose des pistes d’action audacieuses pour sortir notre continent de son marasme, n’a d’ailleurs été accueilli que par le silence de la plupart et un refus net de Berlin.

Face aux menaces militaires, tous les États européens ont commencé à augmenter leur budget de la Défense, parfois substantiellement comme la Pologne. Mais les annonces ne sont pas toujours suivies d’effet, comme en Allemagne, et les marges de manœuvre budgétaires sont parfois réduites, comme en France ou en Italie. De toute façon, les limites imposées au soutien à l’Ukraine, dans son volume comme dans l’usage des armes transférées, ne sous-entendent pas une détermination géopolitique à toute épreuve. L’Europe s’agite dans son sommeil mais n’est pas encore réveillée.

Faut-il désespérer pour autant ? Prétendons-nous, Européens, rester spectateurs d’une Histoire qui se réveille ? Encore faudrait-il qu’on nous en laisse profiter… Ce qui est problématique si nous en laissons la décision à Moscou, à Ankara, à Pékin ou même à Washington.

LE POINT