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En 2025, il faudra réapprendre ce qu’est vraiment la guerre

L’Europe a oublié la logique de fer qui sous-tend tout conflit armé. L’Ukraine et Gaza doivent nous ouvrir les yeux.

Réactions et commentaires autour des guerres en Ukraine ou à Gaza prouvent que les Européens ont oublié ce qu’était la guerre. Il est vrai qu’ils viennent de connaître la plus longue période de paix interétatique depuis la chute de l’Empire romain, soit, à l’ouest, trois générations nourries de liberté, de prospérité et de sécurité. Notre continent, qui a donné naissance à deux conflits mondiaux, redécouvre la guerre et ne la comprend plus.

Il avait cru l’exorciser comme un reste de barbarie primitive par l’entreprise européenne à l’abri de la bannière étoilée ; il avait pensé lui substituer le dialogue, la négociation et le compromis et les présenter au monde comme des modèles indépassables. Le 24 février 2022, Poutine a fait voler en éclats ce rêve. Le 7 octobre 2023, l’attaque terroriste du Hamas a confirmé qu’il devenait un cauchemar.

Stupéfaits, nous assistons au déchaînement incontrôlé de la pire violence. Nous invoquons les catégories morales et le Droit pour appeler à la punition du Méchant et à la victoire du Bon. Nos ancêtres, eux, n’auraient pas été surpris par des évènements dont ils auraient reconnu la logique et ils n’auraient pas perdu leur temps à pousser de hauts cris. Demandons-leur en 2025 les leçons qu’ils ont tirées de leur amère expérience.

Pas de guerre en dentelles
Première réalité : une guerre, c’est l’horreur, la sauvagerie sans limites ni règles. Dès qu’un pays y est entraîné, il sait que son existence est en jeu et que donc tout doit être soumis à la nécessité de la victoire ou, à défaut, de la survie. Il n’y a pas de guerre en dentelles. Le jour du déclenchement des hostilités, on passe dans un autre univers, celui de la violence anomique, où il s’agit de tuer ou d’être tué.

Deuxième réalité : une guerre ne se décide pas devant un tribunal des belles âmes, mais sur le champ de bataille. Gagne qui a la meilleure artillerie, aurait dit Napoléon, et non qui « a raison ». Le reste n’est que vain bavardage. Il était d’entrée de jeu évident que l’Ukraine ne pouvait l’emporter du fait de la disproportion écrasante des forces militaires, industrielles, démographiques et financières à ses dépens. Évidence que rendait encore plus éclatante le refus des États-Unis et des Européens d’aller au-delà d’un soutien financier et en armements qui lui permettait tout au plus de résister. De ce point de vue, en revanche, Israël est un vainqueur incontesté qui impose sa volonté à l’ensemble de ses adversaires au point d’exercer une hégémonie de fait sur sa région.

Troisième réalité : toute guerre se termine soit par la victoire totale d’une partie, soit par une négociation. Étant donné que l’Ukraine ne peut espérer l’une, elle doit préparer l’autre, ce qui implique nécessairement des concessions ; oui, des concessions à l’agresseur… Comme dans des dizaines de guerre qui ont endeuillé notre continent. Perpignan, Lille, Besançon ne sont devenues françaises que de cette manière. Refuser de négocier avec la Russie est une absurdité conceptuelle et une faute morale : la conséquence n’en serait que la poursuite des combats avec leurs dévastations et leurs pertes humaines conduisant à une éventuelle défaite de la partie la plus faible, l’Ukraine, puisque ses partenaires n’entreront pas eux-mêmes dans la bataille.

Pour qu’il y ait une négociation, non seulement il faut être deux mais que le vaincu accepte sa défaite et que le vainqueur domine sa victoire. C’est précisément là que le conflit qu’a déclenché l’attaque terroriste du Hamas bute. Ni les Palestiniens ni les Israéliens ne sont prêts à franchir le pas. Les premiers n’ont pas de représentants crédibles et les seconds refusent tout compromis réaliste, qui impliquerait une forme de souveraineté palestinienne.

Trouver l’équilibre politique
Réalité ultime : une guerre, quelle qu’en soit l’issue, débouche sur un nouvel équilibre politique. C’est lui l’objectif ultime auquel doivent penser les deux ennemis afin qu’il soit le plus favorable ou le moins défavorable possible selon qu’on est le vainqueur ou le vaincu. Accumuler les succès militaires ne sert à rien s’ils ne mènent pas à une paix victorieuse. Israël le découvre aujourd’hui et semble engagé dans une course en avant dont on ne voit pas l’issue. La conséquence en est un conflit sans fin dont les civils sont les premières victimes.

En Ukraine, répéter qu’on doit revenir aux frontières de 1991 est juridiquement et moralement satisfaisant mais impossible. Il s’agit donc de définir une position plus réaliste : ne pourrait-elle pas être le maintien d’une Ukraine viable et indépendante, ce qui ferait des garanties de sécurité du pays le cœur de la négociation et non les conditions territoriales, qui ont toute chance d’être définies par la ligne de front ?

Enfin, faut-il répéter une fois de plus qu’on ne fait jamais confiance à l’ennemi même après un règlement de paix ? C’est la dissuasion et elle seule qui assure qu’il ne reprendra pas les hostilités.

Je sais que je vais susciter le haut-le-cœur de beaucoup de lecteurs ; qu’on va hurler « Munich ». Ce que j’écris ne suscite en moi aucune satisfaction mais je crois que l’histoire pluricentenaire de notre continent nous apprend que c’est la réalité ; cette réalité qui a toujours été mon seul guide, quelle qu’en soit la cruauté.

LE POINT