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Gérard Araud et Emmanuel Macron

Gérard Araud – À quoi servent les visites officielles ?

CHRONIQUE. La visite d’État d’Emmanuel Macron à Washington a été utile, contrairement à ce que prétendent certains. La diplomatie est une entreprise déroutante.

A quoi servent les visites officielles si leurs participants ne sont pas capables d’en décrire les résultats concrets en dehors de leurs effusions sympathiques, mais un peu trop théâtrales pour convaincre ?

La visite récente d’Emmanuel Macron à Washington a de nouveau suscité l’incompréhension. Sur les réseaux sociaux et sur les plateaux de télévision, on a entendu partout répéter la question : « À quoi a servi cette visite ? Donnez-nous-en les résultats », le tout accompagné du sarcasme pour lequel le Français est, on le sait, particulièrement doué.

Pendant quarante années de carrière, j’ai été trop sensible aux regards soupçonneux et parfois ironiques de mes amis sur mon travail, mot qu’ils auraient volontiers mis entre guillemets, pour ne pas vouloir expliquer l’utilité de ce que font dirigeants et diplomates lorsqu’ils se rencontrent. Ce n’est pas facile parce que ces entretiens débouchent rarement sur un acquis tangible et incontestable.

Alors, prenons comme exemple la visite d’État d’Emmanuel Macron à Washington. Pourquoi y aller ? Qu’en retirer ? La première réponse devrait être une évidence : le président français a besoin d’entretenir les meilleures relations possible avec l’homme le plus puissant au monde que reste son homologue américain. C’est ce qu’il avait réussi à faire avec Donald Trump malgré la difficulté de l’entreprise dont je peux témoigner ; c’est ce qu’il devait faire avec Joe Biden comme, en d’autres temps Mitterrand a essayé d’amadouer un Ronald Reagan qui était à l’autre bout du spectre politique que lui puis s’est senti plus en confiance avec G. Bush père. C’est ce que Chirac a fait même avec Bush fils malgré l’affrontement sur l’Irak au moment où les deux pays se sont retrouvés, dès 2004, pour obtenir le départ des troupes syriennes du Liban.

Confiance

Les relations internationales sont évidemment fondées sur les intérêts nationaux. Les États-Unis défendent les leurs ni plus ni moins que les autres, mais avec des moyens, certes, plus importants. De bonnes relations entre présidents ne vont pas changer cette vérité fondamentale, mais elles peuvent tout au moins éviter les malentendus. Nos dirigeants sont, après tout, des êtres humains : ils dépendent des informations forcément partielles et biaisées qu’ils reçoivent de leur administration. Dans ce contexte où règnent méfiance, incompréhension et préjugés, des entretiens permettent de créer un lien de confiance entre les deux présidents, ce qui fluidifie ensuite les relations entre les deux pays, puisque la décision finale leur revient personnellement.

Par ailleurs, ces rencontres portent au plus haut niveau des questions qui n’ont pas été résolues aux échelons administratifs. Emmanuel Macron a ainsi pu faire comprendre à son interlocuteur que le redoublement du protectionnisme américain que représentait l’Inflation Reduction Act était une affaire sérieuse : non seulement, il portait un coup dur aux économies européennes, mais il pouvait porter atteinte à une alliance plus que jamais nécessaire face à la Russie. Que Biden réagisse positivement est une autre affaire, mais il ne pourra plus prétendre ignorer le problème et, de son côté, si les États-Unis ne font pas un geste, Emmanuel Macron pourra expliquer à nos partenaires européens, que le dialogue a été tenté, qu’il n’a conduit nulle part et que l’UE est donc en droit de réagir à une attitude délibérément inamicale de l’allié américain.

Confidences

Enfin, vérité difficile à admettre dans des sociétés qui croient en la transparence des relations humaines, les présidents se disent aussi des vérités qui doivent rester secrètes. S’ils se tenaient aux positions officielles des deux pays, il n’y aurait nul besoin qu’ils se rencontrent pour les ânonner. En tête-à-tête, deux chefs d’État alliés, comme l’Américain et le Français, peuvent exprimer leurs questions, leurs doutes et leurs hypothèses. Pour avoir entendu le compte rendu oral qu’un président peut en donner ensuite à son équipe rapprochée, je peux témoigner de l’importance de ces moments où des êtres humains que le destin a conduits aux plus hautes fonctions expriment avec ceux qui partagent cette position des interrogations parfois éloignées des positions officielles. On croit trop souvent que les chefs d’État se réduisent aux certitudes qu’ils énoncent du podium alors qu’ils doutent comme tout un chacun avec l’angoisse supplémentaire d’engager l’avenir de leur pays.

Ces entretiens sont donc une occasion rare qu’ils ont de sortir du discours officiel dans le confort de savoir que l’interlocuteur se taira et se pose les mêmes questions. Je ne serais donc pas surpris que les deux présidents aient évoqué la fin de la guerre en Ukraine puisqu’ils ont conscience de ne pas être éloignés sur ce sujet. Tous deux veulent soutenir l’Ukraine, mais également mettre un terme à la guerre le plus rapidement possible. « Faudra-t-il poursuivre la guerre pour récupérer la Crimée ? » pourrait bien être une question que se sont posée les deux hommes.

Une visite officielle, c’est donc peu et beaucoup. Peu, si on s’en tient au concret, mais beaucoup, si on comprend que les relations internationales sont un mélange étrange, paradoxal et dangereux d’intérêts objectifs et de décisions subjectives. Comme la vraie vie, en quelque sorte…

 

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