LA CHRONIQUE DE GÉRARD ARAUD. Le président français va plaider la cause de l’Europe et de l’Ukraine devant le nouveau maître de l’Amérique. Good luck !
Emmanuel Macron s’envole pour Washington pour remplir une mission aussi importante que périlleuse. Ce sont les déclarations récentes de Donald Trump et de son équipe sur l’Ukraine qui ont rendu nécessaire cette visite imprévue qui a été décidée un peu comme une dernière chance pour les Européens.
En effet, non seulement la nouvelle administration américaine, à peine en place, a entamé des contacts directs avec la Russie sans consulter ni même informer Kyiv mais, devant les protestations justifiées du président Zelensky ainsi marginalisé dans une négociation qui pourrait décider du sort de son pays, Trump s’en est pris à lui personnellement dans les termes les plus violents. Tout y est passé jusqu’à reprendre presque mot à mot la propagande russe à son encontre : le président ukrainien ridiculisé pour son passé de comédien serait un dictateur impopulaire dans son propre pays, qui serait responsable de la guerre et qui n’aurait rien fait pour y mettre un terme.
Par ailleurs, il s’est retrouvé sommé de signer un document aux termes léonins qui livrerait la moitié des ressources minérales de l’Ukraine aux États-Unis comme paiement de l’aide qu’il en a reçue, estimée à trois fois plus que la réalité. Là encore, son refus d’accepter ce qui n’est rien d’autre qu’un racket a suscité la colère à Washington. Enfin, au G7 comme aux Nations unies, Washington refuse désormais de qualifier la Russie d’agresseur dans la guerre qui l’oppose à son voisin.
Un contact permanent avec un Donald Trump
Emoi en Europe ; sommet organisé dans l’urgence à l’Élysée. Il ne restait plus au président de la République qu’à se rendre à Washington pour éviter le pire, à savoir que sous prétexte de la paix, Trump ne livre, pieds et mains liés, l’Ukraine à Poutine.
Emmanuel Macron connaît bien son interlocuteur dont il a été le premier invité pour une visite d’État à Washington en 2018. Il l’a rencontré à plusieurs reprises sans compter leurs multiples conversations téléphoniques. Tout au long de ces quatre années, il a été un des rares chefs d’État et de gouvernement à conserver un contact permanent avec un Donald Trump susceptible et versatile qui prend facilement la mouche et fait alors publiquement connaître son mécontentement.
Il y eut donc d’inévitables cahots dans leurs relations mais, à chaque fois, Emmanuel Macron sut les surmonter d’autant plus qu’en face de lui, l’humeur de son interlocuteur retombait aussi rapidement qu’elle était montée. Une des recettes de son succès fut de ne jamais s’engager dans une querelle publique avec lui, quelles qu’aient été ses déclarations.
En effet, Trump qui veut toujours avoir le dernier mot tape aussi fort que nécessaire pour y parvenir. Ni la courtoisie ni la vérité ne le retiennent alors. Zelensky qui n’a pas respecté cette règle en a fait les frais ; il aurait dû imiter son collègue français qui n’a pas réagi aux derniers propos de l’Américain.
Contre-vérités
Cela étant, comme le sait le président de la République qui est un amateur de football, le terrain sera lourd à Washington. J’ai moi-même assisté à plusieurs entretiens entre les deux hommes. Je peux assurer que je ne caricature pas : d’un côté, une argumentation impeccable de logique et, de l’autre, des phrases sans queue ni tête d’où émergent souvent de totales contre-vérités.
Trump n’entre pas réellement dans la conversation mais martèle inlassablement une ou deux idées simples voire simplistes. Si le lecteur ne me croit pas, qu’il écoute une de ses conférences de presse…. Par ailleurs, il lui faut toujours crier victoire. La notion même de compromis est bannie de son vocabulaire. Enfin, les intérêts des autres pays même si ce sont des alliés lui sont parfaitement indifférents.
Dans ce contexte, le président de la République, pour réussir, est condamné non à essayer frontalement de faire changer d’avis un Trump qui, dans cette situation, se cabre toujours mais à lui démontrer que la participation des Européens contribuerait au succès d’une politique dont ils ne contestent pas les fondements : oui à la paix, une paix sans soldats ni argent américains, une paix sur les lignes de front mais une paix avec des garanties de sécurité à l’Ukraine fournies par les Européens. Sous quelle forme ? Là sera évidemment la difficulté ; les Américains sont impatients de toper, les Russes le savent et refusent toute présence européenne ; certains de nos partenaires et nos opinions publiques renâclent ; nous avons besoin de moyens militaires américains en soutien.
La création d’une force d’intervention européenne en Pologne et en Roumanie à défaut d’être en Ukraine est-elle concevable ? À quelles conditions militaires, politiques et juridiques serait-elle crédible ? De quelle manière les États-Unis pourraient-ils indirectement s’y associer ? Voilà des questions précises que pourrait soulever Emmanuel Macron.
Mais il devra encore surmonter un dernier obstacle : l’ennui que ressent Trump dès qu’on entre dans les détails devant lui et la tendance qu’il a alors, pour raccourcir les débats, à donner un accord oublié le lendemain. Un succès apparent se révèle alors illusoire. Autant dire qu’Emmanuel Macron n’aura pas la tâche facile à Washington mais il est le seul à pouvoir l’assumer. Il porte les espoirs de l’Ukraine et de l’Europe.