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Vous prendrez bien un peu de Trump matin, midi et soir ?

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Le président américain sature l’espace médiatique. Ne tombons pas dans le piège qu’il nous avait déjà tendu lors de son premier mandat.


J’ai l’impression de revivre le début du premier mandat de Donald Trump, lorsque j’étais l’ambassadeur à Washington. Chaque matin, le conseiller de presse attirait mon attention sur une déclaration du nouveau président tout aussi spectaculaire et souvent tout aussi scandaleuse que les précédentes. Ensuite, c’était le torrent des analyses et des indignations dans les médias et sur les réseaux sociaux. Si j’organisais un dîner à la résidence de France, j’étais à peu près assuré que la conversation se porterait tôt ou tard sur l’incident du jour.

Lassé de ces conversations où la bonne société exhalait le mépris que lui inspirait un personnage il est vrai peu policé, un soir, j’essayai d’interdire qu’on parle de lui autour de ma table : ce fut en vain et j’entendis une fois de plus les mêmes anecdotes et les mêmes conclusions. On lisait à haute voix le chapitre consacré au narcissisme du manuel de psychiatrie américaine pour vérifier qu’il en cochait toutes les cases, ce qui était assez convaincant, on criait au fascisme – déjà –, on ne lui reconnaissait aucun mérite quoi qu’il arrive.

Évitons les mêmes erreurs avec Trump
Ne réitérons pas les mêmes erreurs. Nous pouvons être assurés que pendant les quatre années qui viennent, Trump ne nous épargnera aucune rodomontade, aucune contre-vérité et aucune insulte, qu’il saturera le champ médiatique de ses annonces et de ses déclarations quotidiennes et qu’elles mériteront toutes des commentaires. Cependant, le suivre dans cette voie lui reconnaîtrait la maîtrise du programme des médias, ferait de lui la référence ultime de la vie politique américaine, tournerait toute la lumière vers lui et enfin lui offrirait cette publicité dont il sait qu’elle lui est bénéfique, qu’elle soit bonne ou mauvaise sur le fond.

Par ailleurs, se transformer en commentateur de la comédie trumpienne, c’est en négliger les coulisses et c’est ne pas en analyser les tenants et les aboutissants. Je sais qu’évoquer la Riviera pour parler de Gaza ou racketter l’Ukraine éveille à juste titre les émotions, mais ne tombons pas dans le piège. Oublions un instant la personne de Trump.

Oublions-le, en premier lieu, parce qu’il se complaît dans les annonces symboliques et qu’il y a un gouffre entre ses déclarations et ses actions. Je ne connais pas une mesure qu’il n’ait proclamée avant de l’annuler, de la modifier ou de l’oublier le lendemain. Le trumpisme, c’est l’amateurisme le plus total, l’improvisation pour satisfaire les caprices d’un chef imprévisible et impérieux, le mépris ou l’ignorance des procédures qui fondent l’État de droit, ce qui débouche sur le désordre et l’impuissance. Avant de nous récrier après une annonce, attendons de voir ce qu’il en est en pratique. L’homme est un pragmatique que ne retiennent ni doctrine ni cohérence et qui sait faire marche arrière lorsqu’il rencontre une résistance. Seul compte son intérêt personnel. Il est prêt à sacrifier ce qu’il clamait la veille s’il le juge nécessaire à sa survie politique.

Oublier Trump, ensuite, nous permet d’éviter l’erreur de réduire la crise actuelle à l’élection accidentelle d’un personnage peu ragoûtant et donc à un moment désagréable mais sans lendemain. Il a déjà marqué d’une empreinte durable le paysage politique américain en modifiant en profondeur le logiciel du Parti républicain. Celui-ci est passé de libre-échangiste à protectionniste, d’interventionniste à néo-isolationniste, de partisan de l’austérité budgétaire à dépensier. Il le restera. Par ailleurs, Trump a prouvé que brutalité, contre-vérité et incohérence paient.

Le camp démocrate saura-t-il se réinventer ?
La leçon ne sera pas perdue : déjà, les « mini-Trump » font des galops d’essai à la Chambre des représentants. Ignorants et fiers de l’être, nationalistes et manichéens, ils imitent fièrement leur maître. Il ne leur manque que son charisme. Cette Amérique, nous l’avions oubliée mais elle n’avait jamais disparu. La voilà qui réapparaît en tirant profit de la crise de la démocratie libérale qui a accouché d’une société duale dans laquelle ne se reconnaissent plus un nombre croissant d’Américains.

Une Amérique où le populisme a toujours été présent, ancré dans une méfiance instinctive à l’égard des élites et de l’étranger, et où il fait périodiquement irruption sur la scène politique avec cette violence qui est toujours plus ou moins à fleur de peau dans ce pays surarmé où on se fait si facilement justice soi-même. Dans les années 1920, le racisme en fut la colonne vertébrale, et l’anticommunisme dans les années 1940-1950.

À chaque fois, les institutions démocratiques plient, cèdent du terrain aux pressions de l’heure, mais, en dernier ressort, résistent et évitent le pire. À chaque fois, également, le camp adverse, un temps découragé voire persécuté, reprend courage et finalement l’emporte, que ce soit avec le « new deal » de Roosevelt dans les années 1930 ou avec la Grande Société de Johnson dans les années 1960.

Qu’en sera-t-il aujourd’hui ? Le camp démocrate, démoralisé par ses défaites, saura-t-il se réinventer et offrir aux Américains une alternative crédible qui réponde à leurs angoisses ? Saura-t-il sortir du piège « wokiste » ? Au fond, la gauche américaine est confrontée au même défi que tous les partis progressistes occidentaux, changer à son tour son logiciel de manière aussi efficace que ses adversaires conservateurs.