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Le Point – Chronique de Gérard Araud

22-11-21 – L’Europe n’a rien а gagner а s’aligner sur la politique américaine d’endiguement de la Chine, qui n’est pas une menace comme l’était l’URSS jadis.

Toute la zone de l’Indo-Pacifique, de New Delhi à Los Angeles, est le théâtre d’une gigantesque partie d’échecs à l’initiative des États-Unis. Face à l’émergence en apparence irrésistible de la Chine, Washington joue sur les inquiétudes que celle-ci suscite chez ses voisins pour essayer de nouer avec eux des relations de coopération qui peuvent aller, comme avec l’Australie , jusqu’à une alliance militaire de fait. L’objectif évident des États-Unis est de constituer dans l’environnement de la Chine une série de coalitions sous leur direction afin d’endiguer son influence.

La France doit s’interroger sur son rôle en Asie ; il serait absurde d’espérer que ce qui s’y passe n’aura aucune conséquence en Europe. Sans débat au Parlement ni, plus largement, dans le pays, la France a envoyé en Asie, bien avant les Britanniques, un groupe aéronaval et un sous-marin nucléaire d’attaque ; elle a procédé à des opérations navales en mer de Chine du Sud pour prouver qu’elle n’y acceptait pas les prétentions territoriales de Pékin ; elle a développé une active coopération militaire et industrielle avec l’Inde ; enfin, elle avait conclu un contrat majeur d’armement avec l’Australie. Or la voilà, aujourd’hui, exclue d’une coalition militaire clairement anti-chinoise dirigée par les États-Unis. Faut-il pour autant le regretter ? Rejoindre le partenariat stratégique que viennent de conclure Américains, Australiens et Britanniques serait adhérer à une sorte d’ébauche d’Otan asiatique dont l’ennemi est clairement identifié. Déjà, certains à Paris se font les avocats de cette politique : la Chine prendrait la place de l’URSS de jadis. Il s’agirait de s’aligner sur les États-Unis.

« Rival systémique ». Ce n’est pas l’intérêt de la France. Certes, nous sommes, par nos valeurs, plus proches des États-Unis que de la Chine ; certes, le régime de Pékin est détestable ; certes, ses pratiques dans le Xinjiang et à Hongkong sont inacceptables, mais la Chine n’est pas une menace directe pour la sécurité de notre continent comme l’étaient les Soviétiques. Nous pouvons donc considérer la Chine, pour citer l’UE, comme un « rival systémique » mais pas comme un « ennemi ». Nous ne devons manifester aucune naïveté face aux intrusions chinoises dans les secteurs sensibles de notre économie ; nous ne devons pas rester sans réagir face aux distorsions commerciales ; nous devons rappeler nos valeurs, mais rien ne nous oblige à doubler cette fermeté d’une posture militaire agressive en Asie.

De toute façon, à notre époque, la puissance ne se limite pas à l’envoi de canonnières. Les enjeux politiques, économiques, technologiques et financiers sont aussi et sans doute plus déterminants. Là comme ailleurs, rien ne nous oblige à aligner notre politique dans la région sur celle des États-Unis. La plupart des pays asiatiques nous en seront reconnaissants. En effet, ils ne veulent pas d’un « rideau de bambou » en Asie entre deux camps qui se feraient face.

Enfin, un dialogue direct avec Pékin s’impose à nous, qu’il s’agisse de la France ou de l’UE. La diplomatie, c’est parler avec le diable si nécessaire. Nous sommes parvenus, en d’autres temps, à un modus vivendi avec l’URSS. Il était fait de vigilance et de fermeté, mais aussi progressivement de dialogue et de compréhension des « lignes rouges » de l’adversaire. C’est à un même exercice de réalisme que nous appelle la nécessité de définir nos relations avec la Chine.

Gérard Araud pour Le Point

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