CHRONIQUE. Face aux accusations de bellicisme, l’Europe doit-elle céder aux pressions russo-américaines sur l’Ukraine ? Elle doit en tout cas se réarmer pour faire face à d’autres menaces potentielles.
Pacifistes et prorusses accusent les Européens de bellicisme. Alors que Trump et Poutine œuvreraient pour la paix, le président de la République, pour de méprisables raisons de politique intérieure, s’opposerait à leur noble entreprise et entraînerait la France dans une sanglante et absurde aventure. Qu’importe que la Russie poursuivre implacablement offensive et bombardements des objectifs civils ukrainiens sans respecter les engagements pris auprès des États-Unis. Qu’importe que nos partenaires de l’UE et de l’Otan serrent les rangs autour de nous. Qu’importe même que l’Ukraine se défende héroïquement.
Il faudrait éprouver un soulagement qui ne pourrait, en l’occurrence, être que lâche et laisser les deux grandes puissances régler le sort de la victime de l’agression, quelle que soit leur décision. En d’autres termes, ils affirment que le sort de l’Ukraine ne nous concerne pas et que la défaite de ce pays n’entraînerait aucune conséquence sur la sécurité de la France. Certains vont même jusqu’à souhaiter que, après la fin de ce regrettable épisode, nous retrouvions le chemin de Moscou pour renouer d’étroites et amicales relations.
Or, tout indique aujourd’hui que les États-Unis entendent se dégager du conflit à tout prix et rapidement, et que le sort de l’Ukraine leur est indifférent alors que la Russie, qui a le sentiment d’avoir le temps de son côté, ne renonce pas à l’objectif de vassaliser son voisin. Si les Européens s’accommodaient de ce scénario, celui-ci signifierait que le recours à la force a non seulement permis à Poutine d’atteindre ses objectifs mais qu’il y est parvenu en infligeant une cinglante défaite à l’Occident, qui s’était engagé derrière l’Ukraine.
Menace sur les États baltes
Tout l’équilibre géopolitique de notre continent en serait durablement bouleversé : s’y imposerait une puissance militaire victorieuse face à des Européens abandonnés par les États-Unis et incapables de réagir. La Russie serait alors en mesure d’exercer une pression sur le continent qui irait au-delà de ses voisins immédiats via ses techniques éprouvées de désinformation et de soutien aux partis qui lui sont proches.
Dans ce contexte, un sort particulier risquerait d’échoir aux États baltes, que leur géographie physique et humaine et leur petite taille exposeraient d’autant plus aux entreprises russes que Poutine pourrait assez facilement conclure qu’il n’a rien à craindre de la part de Trump malgré la garantie de l’Otan. Utilisation des minorités russes, saisie d’un gage territorial, troupes aux frontières, il existe de multiples manières pour un grand pays d’imposer sa volonté à un petit.
C’est cette situation que doivent prévoir et éviter les Européens. La première exigence qui s’impose à eux pour y parvenir concerne l’Ukraine, qui ne doit pas être abandonnée aux oukases russo-américains. Ce n’est pas facile tant leurs armées sont aujourd’hui incapables de conduire des opérations de haute intensité sans un soutien américain qui ne viendrait pas. De toute façon, leurs opinions publiques n’y sont pas prêtes. Les Russes le savent.
Dans ce contexte, l’envoi en Ukraine d’une force dite de « réassurance », même à l’arrière de la ligne de front, en cas de cessez-le-feu, apparaît improbable face au refus de Moscou. Les Européens seront donc sans doute réduits à intensifier leur aide financière et matérielle à l’Ukraine, ce qui est précieux mais ne résout rien sur le moyen et long terme. La guerre se prolongerait alors avec ses dévastations face à une Russie largement indifférente à ses pertes et assurée de sa supériorité. Tout dépendrait alors, d’une part, de la résilience de l’Ukraine et, de l’autre, de la situation économique de son ennemie.
Un effort budgétaire nécessaire sur le long terme
Au-delà de l’Ukraine, on l’a dit, la menace russe pèse sur nos alliés d’Europe orientale, en particulier sur les pays Baltes. Nous ne devons pas renouveler l’erreur que nous avons commise en février 2022 en ne prenant pas au sérieux la perspective d’une agression russe et nous devons donc rendre crédible notre détermination à défendre nos alliés.
La France a d’ores et déjà déployé aux côtés d’autres États des troupes en Estonie pour avertir la Russie qu’une éventuelle agression contre ce pays déclencherait un conflit qui engagerait l’ensemble de l’Otan. Ce n’est pas assez. L’Histoire nous apprend que la dissuasion fondée sur des moyens militaires substantiels représente la meilleure manière de préserver la paix face à une puissance agressive. Dans un monde incertain où la garantie américaine ne joue plus, les Européens doivent être en mesure de se défendre. Ce qui suppose un effort budgétaire sur le moyen et long terme mais aussi une adaptation de leur posture de défense.
À cet égard, la présence en Pologne ou en Roumanie d’une force multinationale de réassurance et l’élaboration de plans crédibles pour l’engager aux côtés de nos alliés de l’Est enverraient un message clair de fermeté à une Russie, qui ne pourrait donc pas réitérer l’erreur qu’elle a commise en 2022 en comptant, d’une part, sur la faiblesse de l’Ukraine et, de l’autre, sur l’assentiment des Européens.