Accueillir Ahmed al-Chareh à Paris choque. Ancien djihadiste, devenu président intérimaire, il incarne une réalité syrienne complexe à laquelle la France ne peut plus tourner le dos.
La réception à Paris du président intérimaire de Syrie, Ahmed al-Chareh, suscite de vives réactions au sein de l’opinion publique française. Il est vrai que le parcours du personnage peut inquiéter. Originaire de Damas, il part à 20 ans, en 2003, combattre l’envahisseur américain en Irak. Longtemps détenu dans les prisons de l’occupant, il revient en Syrie au nom de l’État islamique d’Irak (Isis) qu’il quitte pour rejoindre Al-Qaïda dont il ne se sépare qu’en 2016. Voilà un pedigree pour le moins inquiétant puisqu’il a donc milité dans les deux organisations terroristes islamistes les plus extrémistes d’une région qui en connaît pourtant beaucoup. Nul ne peut imaginer qu’il y ait prôné la tolérance et la non-violence…
Un itinéraire inquiétant : d’Irak à Al-Qaïda
C’est en 2017 qu’il décide de voler de ses propres ailes en créant HTC – Hayat Tahrir al-Cham – (Organisation de libération du Levant) qui fédère plusieurs groupes islamistes en lutte contre le régime d’Assad. C’est à sa tête qu’il prend le contrôle de la zone d’Idlib où vivent des millions de Syriens qui s’y sont réfugiés sous la protection de la Turquie. Dès lors, il combat Isis et Al-Qaïda et il crée un « gouvernement de salut » qui va gouverner l’enclave jusqu’en 2024. Tous les témoignages de ses habitants, quelle que soit leur confession, et des journalistes donnent la même image, celle d’une région bien administrée par un pouvoir islamique conservateur qui n’impose cependant pas toute la rigueur de la charia et concède une relative liberté religieuse aux chrétiens.
En novembre 2024, en douze jours, il balaie les forces gouvernementales et entre dans Damas. Immédiatement, il va s’atteler à rassurer les minorités dont il reçoit les représentants et dont il annonce vouloir défendre les droits, Israël avec lequel il se dit prêt à nouer des relations pacifiques et la communauté internationale en arrêtant plusieurs chefs terroristes. Il multiplie les messages pour prouver sa « respectabilité » en demandant la suspension de sanctions qui rendent difficile la reconstruction du pays. Il noue assez rapidement des liens, au-delà de la Turquie, avec les monarchies du Golfe. Le 29 janvier 2025, il prend le titre de président de Syrie pour une période de transition indéterminée.
Pays dévasté
Cela étant, la tâche est accablante. Non seulement le pays est dévasté mais il n’est plus qu’une mosaïque de zones aux mains de milices incontrôlées. La guerre civile y a nourri son cortège habituel de haines en particulier aux dépens des soutiens d’Assad, en premier lieu la communauté alaouite dont il est issu et qui a fourni les pires tortionnaires du régime. On crie à la vengeance. Par ailleurs, la Syrie est devenue le réceptacle de milliers de combattants islamistes étrangers dont l’horizon ne se limite pas à ce pays mais s’inscrit dans ce qu’ils considèrent comme un Djihad mondial. Enfin, les Kurdes qui ont constitué leur propre région quasi indépendante refusent de baisser les armes. Dans ce contexte, les incidents étaient inévitables. Ce sont les partisans d’Assad qui ont été responsables des plus graves en lançant des attaques concertées contre les forces de l’ordre, en mars 2025. Aux multiples centaines de victimes dans les rangs de la police a répondu un déchaînement de violence intercommunautaire qui aurait coûté la vie à plus de 1 300 personnes, en majorité alaouites.
Mais c’est d’Israël qu’est venu le défi le plus dangereux. Alors que Al-Chareh en venait jusqu’à évoquer une signature des accords d’Abraham et donc une normalisation avec son voisin, celui-ci a décidé de ne pas lui accorder le bénéfice du doute. Il a élargi sa zone d’occupation à partir du Golan, a lancé des frappes répétées pour détruire le potentiel militaire syrien et a apporté son soutien militaire à un groupe druze aux fortes nostalgies pro-Assad. À Jérusalem, certains ministres ne dissimulent pas que l’objectif serait l’éclatement de la Syrie en mini-États établis sur une base communautaire. Pour faire comprendre à Al-Chareh où est la force, Israël a bombardé les environs du palais présidentiel de Damas, ce qui n’avait jamais été fait sous les Assad.
Que doit faire la France ? Partons des faits et d’eux seuls : l’objectif d’Al-Chareh n’est pas d’établir une démocratie scandinave à Damas ; dirigeant islamiste, il le restera mais c’est aussi un politicien habile qui a su manier non seulement les armes mais aussi la négociation et le compromis pour parvenir au pouvoir. La politique étrangère, c’est souvent le choix de la moins mauvaise solution. En Syrie, aujourd’hui, en l’absence d’alternative autre que la reprise de la guerre civile, nous n’avons d’autre solution que d’apporter notre soutien au nouveau gouvernement en faisant de notre mieux pour l’orienter dans la bonne direction en particulier en ce qui concerne le traitement des minorités et les relations avec les groupes terroristes présents en Syrie. Il y aura des cahots sur le chemin, des déceptions et des retours en arrière, quelles que soient les décisions d’Al-Chareh dans un pays qu’il ne contrôle pas, loin de là. Son succès final n’est rien moins qu’assuré. Il peut être renversé demain. Mais, comme nos partenaires arabes et européens, les yeux ouverts, nous devons prendre ce risque calculé. La seule manière de ne pas se salir les mains, c’est de ne pas en avoir.