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À quoi servent (vraiment) les Nations unies ?

CHRONIQUE. Gérard Araud, ex-ambassadeur de France à l’ONU, revient sur les accusations dénonçant l’impuissance d’une organisation considérée comme une plateforme où chacun défend sa souveraineté.

L’Organisation des Nations unies souffre de sa popularité. En effet, d’un côté, quoi de plus enthousiasmant que l’idée d’une coopération mondiale pour la paix et le développement et, de l’autre, quelle déception de constater la médiocrité des résultats atteints.

Il n’est donc de crise, ou de défi, qui ne soit l’occasion d’y souligner l’échec de l’ONU et d’en annoncer la fin, récemment de l’Ukraine à Gaza ou du Covid-19 au changement climatique. Il est émouvant de voir, dans ces critiques acerbes et parfois désespérées, l’aspiration de l’être humain à dépasser les frontières des États pour défendre un intérêt commun qui les transcendent au nom de l’humanité tout entière. Émouvant mais stérile….

Accablée de sarcasmes
Les mots ont toujours un sens, en particulier en diplomatie. Le nom de l’Organisation des Nations unies souligne qu’elle n’existe pas en tant qu’instance indépendante des nations mais qu’elle est l’expression de leur volonté de coopérer. Qu’elles se divisent, qu’elles s’opposent, et elle est paralysée. Car elles seules détiennent le pouvoir décisionnel.

La présence de dictatures dans les instances supposées défendre les droits de l’homme conduit à accabler de sarcasmes l’ONU, alors que ce sont les États membres qui élisent les commissions et les comités de cette organisation, qui n’y peut rien.

Les pouvoirs effectifs du secrétaire général sont réduits à la direction du secrétariat. Il peut alerter le Conseil de sécurité sur une situation qui menacerait la paix mais c’est à cette instance de réagir ou de ne pas réagir. Il peut éventuellement acquérir une autorité morale auprès de l’opinion publique mondiale mais rien là qui puisse peser sur des puissances déterminées à défendre leurs intérêts essentiels.

L’ONU, dans les faits, n’est qu’une plateforme où les États peuvent coopérer sur des sujets d’intérêt commun seulement s’ils le décident. Que les grandes puissances soient attachées à la conservation de leur liberté d’action paraît naturel mais ce serait une erreur de sous-estimer la volonté de tous les autres membres, quelle que soit leur taille, d’en faire de même.

Plus ils sont petits, peut-on même remarquer, plus ils sentent que leur souveraineté est fragile et plus ils la défendent avec acharnement. Une des raisons en est qu’à leurs yeux l’ONU n’est pas une organisation neutre, mais qu’elle est soumise à l’influence des grands États, occidentaux au premier chef.

Une annexe de l’Occident
À ce jeu, la France ne se débrouille pas si mal puisqu’elle détient, depuis une trentaine d’années, le poste le plus important au-dessous du secrétaire général, celui qui est chargé des opérations de maintien de la paix. À ses côtés, un Américain dirige les affaires politiques et un Britannique les opérations humanitaires. La Chine se contente des affaires économiques, département sans importance opérationnelle, l’Inde et la Russie sont cantonnées dans des postes secondaires.

Avouons que le « reste du monde » a de bonnes raisons de voir dans l’ONU une annexe de l’Occident… Dans ce contexte, renforcer les pouvoirs de l’organisation, ce serait, pour la majorité, donner aux Occidentaux les moyens légaux de justifier leurs ingérences. Par ailleurs, il est vain d’espérer que la Russie, les États-Unis la Chine, ainsi que la quasi-totalité des États de la planète, n’acceptent d’hypothéquer leurs souverainetés au nom d’une quelconque organisation internationale.

Cela étant, la mauvaise santé actuelle des Nations unies n’est pas pire que la paralysie qu’elles ont connue tout au long de la Guerre Froide. Au fond, l’ONU n’a fonctionné de manière à peu près efficace qu’après la dislocation du bloc soviétique et sous la tutelle de l’Occident. Ni la Russie ni la Chine, tout en défendant leurs intérêts, ne contestaient celle-ci, comme l’a prouvé, par exemple, leur coopération au vote de sanctions contre l’Iran au sujet de son programme nucléaire.

Dialogue de sourds
Or, depuis 2014, que ce soit à cause de la Syrie puis surtout de l’Ukraine, les relations entre les grandes puissances se sont progressivement tendues. Il était inévitable que, comme lors de la Guerre Froide, l’ONU en ressente rapidement les contrecoups.

Une confrontation entre deux pays ne reste jamais cantonnée au domaine qui l’a suscitée mais pollue progressivement l’ensemble des relations bilatérales. On l’a constaté une fois de plus au Conseil de Sécurité où ne règne plus qu’un dialogue de sourds quel que soit le sujet, bien au-delà du seul conflit en Ukraine.

Cela étant, même si les relations russo-américaines devaient s’améliorer, l’ONU se heurterait à l’hostilité déterminée de l’administration Trump. Le président déteste toute forme de multilatéralisme et ses partisans le suivent d’autant plus qu’ils sont nationalistes, isolationnistes et prêts à croire que les Nations unies veulent mettre la main sur leur pays….

Or, l’ONU sans les États-Unis rappellerait tristement la Société des Nations dont on connaît le destin. Peu d’espoir donc que les Nations unies sortent de leur paralysie actuelle. Ne jetons quand même pas le bébé avec l’eau du bain : restent les agences qui soignent, construisent, nourrissent, éduquent les victimes innombrables des désastres naturels et des conflits dont nul se soucie dans des conditions souvent difficiles, comme j’ai pu le constater en me rendant sur place lorsque je représentais la France auprès de l’ONU à New York. Elles méritent notre estime et notre soutien.