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Comment le populisme pèse sur la politique étrangère

La question est plus que jamais d’actualité : comment vont évoluer les rapports de force à l’échelle du monde alors que grandit le nombre de pays occidentaux dirigés par des populistes.

Notez que nous sommes en démocratie ; l’État le moins propre aux négociations », remarque M. Bergeret dans Le Mannequin d’osier d’Anatole France. Il n’a pas tort. Tout, l’Histoire, les émotions ou la morale peuvent mobiliser le citoyen et le conduire à exercer une telle pression sur le pouvoir, quel qu’il soit, que celui-ci est contraint d’en tenir compte, même en politique étrangère. Certes, les démocraties sont, par construction pourrait-on dire, plus sensibles à ces dérives mais monarchies et autocraties n’y échappent pas : en effet, d’un côté, leurs dirigeants peuvent partager préjugés et passions des foules et, de l’autre, ils ne peuvent ignorer ceux-ci qu’à leur risque et péril. Hier, Napoléon III déclenchait, une guerre absurde parce que Bismarck avait enflammé à dessein l’opinion publique française. Aujourd’hui, au Moyen-Orient, les monarchies du Golfe, qui ressentent la plus grande indifférence à l’égard des Palestiniens d’autant que le Hamas menace directement leur régime sont obligées de tenir compte des émotions de leur opinion publique.

Or, au fil des élections, la communauté occidentale pourrait voir progressivement grossir le contingent des pays gouvernés par des partis populistes. Au minimum, leurs rivaux conservateurs traditionnels risquent de se croire obligés de teinter leur programme d’un nouveau vernis pour leur faire concurrence. Ainsi, en France, la droite dite « républicaine » brûle ce qu’elle a adoré et devient eurosceptique. À ce titre, politiques intérieure et étrangère se rejoignent une fois de plus pour annoncer de possibles temps nouveaux. En effet, par sa radicalité de fond, de méthode et de langage, le populisme représente une pratique de la politique et une vision du monde qui pèseront inévitablement sur les relations internationales.

En premier lieu, il s’accompagne d’un fort nationalisme, qui valorise l’identité nationale, les traditions et les valeurs locales au détriment de la diversité ou de l’internationalisme. Il se veut donc ancré dans une culture à l’abri de frontières, ce qui conduit au souverainisme, c’est-à-dire à la défense de l’indépendance nationale contre l’influence d’institutions multilatérales telles que l’Union européenne, l’Organisation des Nations unies ou l’Organisation mondiale du commerce, perçues comme des entités nuisibles à une souveraineté érigée en absolu qui n’admet pas de limitation. C’est le retour de l’État-nation comme cadre unique de la vie du pays, dont les intérêts égoïstes immédiats sont la fin ultime de toute politique étrangère. On ne coopère qu’au cas par cas, sur la base du « donnant-donnant ».

« Les populistes excusent la Russie »
En Europe, la montée du populisme a déjà exacerbé les tensions internes à l’UE, comme en témoignent la crise du Brexit et les dissensions concernant l’accueil des migrants ou le soutien à l’Ukraine. En France, les extrêmes ont certes renoncé à la sortie de l’organisation bruxelloise étant donné le refus que lui oppose une large majorité de la population mais elles annoncent des mesures, que ce soit une réduction de la contribution française au budget commun, des subventions aux entreprises ou un recours au protectionnisme, qui seraient en contravention directe avec les engagements des traités européens et qui conduiraient donc inévitablement à une crise majeure avec nos partenaires. Risqueraient par ailleurs d’être remis en cause les engagements pris dans d’autres enceintes internationales, que ce soit contre le changement climatique, en faveur de la justice internationale ou dans la mise en œuvre du droit d’asile puisqu’il dicte la politique de la France.

Au moment où la guerre est de retour sur notre continent, en cas d’accession d’un parti populiste au pouvoir, une des premières questions qui se poseraient concernerait la politique de la France en Ukraine. Un de mes collègues qui m’accueillait au quai d’Orsay, il y a bien longtemps, me fit une remarque qui m’est restée depuis lors : « En France, à part la Première Guerre mondiale, il y eut toujours un parti de l’étranger » – Bourguignons, Ligueurs, Frondeurs, Émigrés, PCF, Vichy, pro-Américains, prorusses. Aujourd’hui encore se vérifie cette même désespérante tradition : les populistes excusent la Russie et critiquent non seulement une Ukraine qui se défend mais le soutien que nous lui apportons face à l’agression.

Serions-nous une nation de guerre civile toujours prête à faire appel à l’étranger pour régler nos comptes ? Car, c’est bien de politique intérieure qu’il s’agit sous le masque d’un débat de relations internationales : on voit dans Poutine le modèle dont on pense avoir besoin chez nous, comme hier Mussolini, Hitler, Staline et on lui sacrifie l’Ukraine et nos alliés… La réélection de Donald Trump a fait oublier ses outrances et conduit d’autres à se réclamer de lui.

Or, les deux présidents se rejoignent dans la même hostilité à l’Union européenne, la même invocation aux « valeurs traditionnelles » et le même mépris pour l’État de droit et la démocratie libérale ; des orientations séduisantes pour nos populistes en quête de parrains. Imiteraient-ils un Viktor Orban aussi bien en cour à Moscou qu’à Washington ? ou une Giorgia Meloni qui s’en tient à la seconde ? En tout cas, ce n’est ni à Bruxelles ni à Berlin qu’ils chercheraient des partenaires.

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LE POINT