7 mars 2022 :
CHRONIQUE. L’Europe doit aider les Ukrainiens à résister pour convaincre Vladimir Poutine de l’intérêt de revenir à la table des négociations.
Le moment est à une légitime émotion. Voilà une grande puissance qui attaque un voisin plus faible sans la moindre raison sinon de lui imposer sa volonté et de limiter son indépendance. Les civils s’abritent dans les stations de métro ou s’enfuient avec de pauvres valises ; des immeubles d’habitation flambent et, surprise, le faible résiste à l’agresseur, qui s’attendait à une victoire facile.
Le risque serait de nous enflammer et d’appeler à la poursuite des combats jusqu’à la punition du méchant et à la récompense du bon. Ce serait d’abord indécent dans la mesure où nous ne sommes pas partie prenante de ce conflit et où nous applaudissons le courage des Ukrainiens confortablement de notre balcon. Il nous est trop facile d’être prêts à mourir jusqu’au dernier Ukrainien. Ce serait surtout irréaliste, parce que le conflit ne fait que commencer et que le rapport de forces est sans appel. Les Russes iront jusqu’à Kiev si c’est leur objectif. Le courage des Ukrainiens ne leur suffira pas pour vaincre leur adversaire.
L’Ukraine est seule
Oublions donc nos émotions et demandons-nous quel peut être le meilleur dénouement de cette tragédie pour l’Ukraine, étant entendu que ni les États-Unis ni les autres membres de l’Otan n’interviendront militairement pour la défendre. Joe Biden et Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Organisation, ont été très clairs à cet égard. L’Ukraine est seule face à un ennemi plus puissant qu’elle. Son intérêt est donc de parvenir à un cessez-le-feu le plus rapidement possible pour réduire les pertes humaines et les destructions physiques. C’est à elle, et à elle seule, de juger à quelles conditions elle doit poursuivre la résistance ou traiter avec l’envahisseur.
Le moment de la négociation ne semble, hélas, pas arrivé, sauf à l’Ukraine à accepter de capituler dans la mesure où la Russie espère encore atteindre tous ses objectifs à un moindre coût. Les déclarations de Poutine sont sans ambiguïté : il exige que l’Ukraine accepte toutes ses exigences, qui reviennent à en faire un État vassal de la Russie. De son côté, la victime connaît l’exaltation de la justice de sa cause. Les chemins de la paix sont tortueux. Ils passent parfois par une aggravation des combats pour persuader l’une ou l’autre partie, ou les deux, qu’elles ont intérêt à les emprunter. De manière paradoxale, aujourd’hui, la meilleure manière d’espérer mettre un terme à cette tragédie, c’est d’aider les Ukrainiens à résister, afin de convaincre les Russes que leur agression serait trop coûteuse à poursuivre à son terme. Je sais que c’est contre-intuitif, mais livrer des armes à l’Ukraine, ce n’est pas seulement venir au secours de l’agressé, c’est aussi lui permettre d’amener son ennemi à la négociation.
Les sanctions jouent le même rôle : ce serait une erreur d’y voir une punition de l’agresseur alors que c’est un instrument de coercition pour lui faire renoncer à son entreprise. En d’autres termes, quoi que nous pensions de Poutine, nous devons les lever s’il parvient à un accord avec Zelensky et préserve l’indépendance de l’Ukraine. Nous ne sommes pas en guerre avec la Russie ; nous voulons qu’elle évacue son voisin, rien de plus, rien de moins. Si nous élargissions les objectifs des sanctions, par exemple en y ajoutant celui d’un départ de Poutine, elles perdraient alors leur utilité dans le conflit russo-ukrainien.
La folie des hommes doit donner toute sa mesure avant qu’ils ne reviennent à la raison
Des armes à l’Ukraine ; des sanctions fortes mais temporaires et, enfin, le maintien d’un canal de communication avec le président russe sont les conditions nécessaires à l’ouverture de négociations entre les deux adversaires. En effet, à Moscou, un seul homme compte, Vladimir Poutine, et cet homme s’est isolé dans une bulle où la peur du Covid renforce la solitude du despote. Emmanuel Macron a donc raison de maintenir le contact avec lui. Il le fait d’ailleurs avec l’accord du président Zelensky. Il sait que, aujourd’hui, ses appels téléphoniques sont sans objet, que son interlocuteur est encore enfermé dans ses certitudes et convaincu de l’emporter. Mais, qu’en sera-t-il dans quelques semaines ? Oui, quelques semaines au moins, parce que ce conflit va, hélas, durer : l’Ukraine est vaste ; les forces russes limitées pour sa superficie ; les Ukrainiens déterminés à défendre leur liberté.
Lorsque la Russie comprendra la nécessité d’une négociation, il faudra que l’Ukraine, de son côté, ne recherche pas la justice ou la vengeance, mais admette que la tragédie ne peut se conclure que par un compromis. Poutine ne peut se permettre d’apparaître comme un vaincu. Eh oui, l’agressé devra faire des concessions à l’agresseur afin que celui-ci puisse se targuer d’avoir atteint ses objectifs. La concession la plus évidente porte sur l’adhésion à l’Otan. Cette question pourrait être réglée par la reconnaissance d’un statut de neutralité de l’Ukraine. Derrière ce mot se cachent des interprétations très différentes. La Russie voudra l’utiliser pour vassaliser son voisin ; celui-ci pourra, au contraire, par ce biais, recevoir des garanties internationales. Ce sera à la négociation de trancher. On voit qu’on en est loin. D’ici là, ce sont les armes qui parleront. Les victimes civiles seront nombreuses ; les réfugiés aussi. La folie des hommes doit donner toute sa mesure avant qu’ils ne reviennent à la raison. S’ils y reviennent.
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