CHRONIQUE. Monsieur le Président de la République, permettez que je vous donne quelques conseils, non de politique étrangère, mais de diplomatie.
Monsieur le Président de la République, je ne me permettrais pas de vous donner des conseils sur la politique étrangère que vous allez conduire au cours de votre second mandat. Les cinq années que vous venez de vivre à la tête de l’État ont été assez agitées pour vous aguerrir dans ce domaine. Par ailleurs, le rôle des diplomates n’est pas de déterminer la politique étrangère dont la responsabilité revient au pouvoir politique mais, plus modestement, de la conseiller et ensuite de la mettre en œuvre. On oublie trop souvent la différence entre politique étrangère et diplomatie. Mon domaine, c’est la seconde ; je m’y tiendrai donc.
On me chuchote que vous n’appréciez pas les diplomates. Rassurez-vous : vous n’êtes ni le premier ni le dernier président à vous exaspérer de nos timidités, de notre formalisme et de notre conservatisme. Que voulez-vous : le sentiment des risques que recèle un monde sans pitié et de la gravité des enjeux pour l’avenir de notre pays peut, en effet, nous paralyser mais j’espère que vous êtes convaincu de notre profond « légitimisme ». À force de parler dans les enceintes internationales au nom de la France, le diplomate en vient à s’identifier aux autorités qui définissent les intérêts qu’il doit défendre. Il m’est arrivé, à la suite des élections législatives de 1997, d’appliquer à l’Otan la politique inverse de celle à laquelle j’avais consacré toute mon énergie au cours des deux années précédentes ; je l’ai fait avec tout mon zèle et toute mon intelligence ; sans le moindre état d’âme et je dois l’avouer, avec un amusement intellectuel certain.
Une politique bien conçue peut échouer au moment de son exécution. Il n’est donc pas inutile de faire un tour aux cuisines où les diplomates transforment vos décisions en action, si vous me permettez l’image. Que vous diraient respectueusement les diplomates comme ils ont essayé de le dire, pas toujours avec succès, à tous vos prédécesseurs ?
Raisonnez toujours en termes de coalition à constituer.
Ne surprenez pas nos partenaires par une proposition dont ils n’auront pas été avertis au préalable. Les Français ont de l’imagination, c’est connu. Ils sont d’ailleurs à l’origine de bien des progrès au sein de l’Union européenne, mais vos homologues détestent devoir réagir sur-le-champ à une idée française qu’ils découvrent dans le journal du matin. Le premier réflexe est alors toujours négatif, en particulier lorsque le sujet touche à des intérêts essentiels de leur pays. Ainsi, n’annoncez rien sur la Libye sans en parler aux Italiens ou sur la Russie sans en faire de même avec les pays baltes ou la Pologne. Vos diplomates vous épargneront de subir des réflexes pavloviens qui sont avant tout des gestes de précaution, mais qui peuvent condamner à l’échec une initiative de votre part.
Raisonnez toujours en termes de coalition à constituer. Ce n’est pas seulement parce que la France, seule ou même avec l’Allemagne, ne dispose pas d’un poids qui lui permet de faire triompher ses vues mais, dans le cadre de l’UE, les « petits pays » se méfient des « grands » et tout particulièrement d’une France souvent cavalière à leur égard. Vous l’aviez compris en étant le premier président de la République à vous rendre chez tous nos partenaires après votre élection en 2017. Il s’agit simplement de transformer cette intuition en une pratique régulière. À cet égard, le plus beau succès serait de faire porter une idée française par un autre pays et de ne pas en revendiquer la paternité. Pas facile pour notre irrépressible vanité nationale, mais ce serait efficace…
Ne surestimez pas le cadre franco-allemand. Il a représenté, à un certain moment de notre histoire commune, une association d’égaux où chacun trouvait son intérêt. C’est beaucoup moins le cas aujourd’hui, L’Allemagne non seulement s’est émancipée de notre tutelle politique, mais sa puissance économique lui permet désormais de peser de tout son poids en fonction de ses intérêts. Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain, mais imitons l’Allemagne : elle sait parfaitement aller chercher ailleurs qu’à Paris des soutiens dont elle pense avoir besoin, y compris contre nous. Nous avons trop négligé nos partenaires méditerranéens alors qu’elle a su courtiser ses voisins du Nord.
Enfin, demandez-vous dès que vous avez décidé d’une initiative en politique étrangère quel est le meilleur plan de bataille. C’est rarement de l’annoncer urbi et orbi immédiatement. Que le ministre des Affaires étrangères et votre conseiller diplomatique vous conseillent les démarches à effectuer pour la promouvoir, les précautions à prendre dans son expression et la manière d’en assurer le suivi. Peut-être y verrez-vous une perte de temps ou des subtilités inutiles, mais croyez-moi : si les diplomates disputent à une autre profession d’être la plus ancienne de l’histoire, c’est que l’être humain répond rarement aux appels de la raison, mais beaucoup plus souvent aux préjugés, aux peurs et aux passions. Il faut donc en tenir compte pour éviter qu’ils ne viennent faire dérailler les meilleurs projets, ces projets – là, nous serons d’accord – que porte notre pays.
Monsieur le Président de la République, je vous souhaite le succès dans votre haute mission parce qu’il sera celui de la France, cette France à laquelle, nous diplomates, avons consacré notre vie.