CHRONIQUE. Le président ukrainien a tout intérêt à ne pas rejeter en bloc les propositions américaines en vue d’une fin des hostilités avec la Russie.
Le cycle de négociations lancé par l’administration Trump pour rétablir la paix en Ukraine conduit aux commentaires émotionnels, enflammés et définitifs que suscite volontiers le retour de la guerre sur notre continent, qui en a oublié la logique de fer. D’abord sur la nécessité ou pas de s’engager dans une négociation avec la Russie. Les uns affirment qu’on ne peut pas récompenser un agresseur et les autres qu’il est impossible de faire confiance à Poutine.
Ils s’en tiennent donc à des positions de principe pour exiger le retrait intégral des forces russes du territoire internationalement reconnu de l’Ukraine comme seule conclusion concevable du conflit. Qu’importe que manque le mode d’emploi pour y parvenir. Invoquer la morale et le droit permet apparemment d’ignorer la réalité.
Or, cette réalité, c’est la quasi-certitude que l’Ukraine ne pourra pas reconquérir les provinces perdues par elle-même étant donné la disproportion des forces et le fait que les Européens ne viendront pas à son secours pour y parvenir. Refuser la négociation, c’est donc se prononcer pour une guerre sans fin, dévastatrice pour la victime et qui pourrait mener à terme à sa défaite.
Garantie de sécurité
Quant à Poutine, nul ne parle de lui « faire confiance » pour la simple raison que ce n’est pas un concept de relations internationales : à la fin de toute guerre, chaque partie considère que l’ennemi d’hier peut à tout moment redevenir celui de demain et qu’il faut le dissuader de reprendre les hostilités en déployant les forces nécessaires pour le convaincre que sa victoire serait pour le moins incertaine.
Ensuite, nous dit-on, faire des concessions à l’agresseur, ce serait récompenser sa violation du droit international. Certes mais, depuis des millénaires, les guerres se concluent sur le champ de bataille. C’est, à l’évidence, la seule logique que comprenne la Russie. De son côté, l’Ukraine ne se bat pas pour des principes si honorables soient-ils mais pour sa survie, une survie qu’elle devra non au droit mais au courage de ses soldats et à la force de son artillerie et, en fin de compte, à la sagesse de ses dirigeants.
Enfin, ajoute-t-on, nul ne peut demander à l’Ukraine de reconnaître la perte des provinces conquises par son ennemi. Or, la proposition américaine apparemment ne le fait pas. La cessation des hostilités se ferait plus ou moins sur la base de la ligne de front dans ce qui prendrait la forme d’un armistice ou d’un cessez-le-feu. Chaque partie pourrait alors maintenir juridiquement ses prétentions, l’Ukraine sur les territoires perdus, y compris la Crimée, et la Russie sur l’intégralité des quatre provinces qu’elle a annexées mais pas entièrement saisies. C’est ainsi que Corée du Nord et du Sud se font face depuis 1953.
Sur le fond, les propositions américaines présentées avec la brutalité cynique et maladroite de cette administration, au-delà des cris d’orfraie qu’elles suscitent des va-t-en-guerre de canapé, sont beaucoup moins mauvaises qu’on aurait pu le craindre. En effet, non seulement elles n’imposent aucun diktat à l’Ukraine, comme on l’a vu, mais elles ne limitent pas ses forces armées et elles permettent le déploiement de troupes européennes sur son territoire, ce qui en soi constituerait la garantie de sécurité dont a besoin ce pays.
Un plan qui mérite considération
D’ailleurs, Biden avait lui aussi exclu l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan. Bien plus, si l’envoyé américain Witkoff s’est assuré au préalable de l’accord de Poutine, ce texte constitue un cadre de négociation très éloigné des exigences premières de celui-ci : non seulement, il renonce à dénazifier et à neutraliser l’Ukraine, ce qui revenait à la vassaliser mais il se contenterait d’une partie seulement des provinces annexées. Le diable est dans le détail mais si ce que la presse unanime rapporte est vrai, ce plan mérite, pour le moins, considération.
Un pays qui présente un plan de paix ne s’attend pas à ce que les deux parties l’acceptent dans son intégralité ; il leur demande s’ils acceptent de négocier sur cette base étant entendu qu’elles peuvent lui apporter des amendements. Dans ce contexte, je crains que, comme dans le Bureau ovale, le président Zelensky ne sous-estime la susceptibilité maladive de Trump et, en multipliant ses objections publiques à ses propositions, qu’il ne s’aliène ainsi un pays qui ne demande que d’avoir des raisons de se dégager du conflit.
Or, quoi que disent les Européens, ils ne pourraient pas compenser le retrait du soutien américain à l’Ukraine en particulier en termes de renseignements ou de défense antiaérienne. Dans ce contexte, si j’étais le conseiller diplomatique du président ukrainien, je lui suggérerais de remercier et de féliciter Trump pour sa proposition, de lui apporter un soutien de principe, de réaffirmer sa volonté de mettre un terme au conflit le plus rapidement possible et, enfin, de poser quelques questions qui seraient, dans les faits, autant d’objections.
Une négociation est un théâtre d’ombres où chacun nourrit des arrière-pensées et où il faut savoir dissimuler sans oublier, de se préparer, en cas d’échec à « refiler le mistigri » à l’adversaire. Face à Trump, Zelensky doit se prêter à ce jeu.