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Gérard Araud – A-t-on vraiment besoin de diplomates ?

CHRONIQUE. La suppression du corps diplomatique est une erreur. La diplomatie est un métier et le rôle d’ambassadeur ne se limite pas à donner des réceptions.

A-t-on vraiment besoin de diplomates ? Étrange question, direz-vous, et pourtant nous devons nous la poser puisque la France a décidé d’être le seul grand pays à ne plus disposer d’un corps diplomatique. Désormais, les représentants de la France à l’étranger seront recrutés au sein d’un corps unique de hauts fonctionnaires dont rien ne garantira ni n’exigera de spécialisation.

Une tempête dans un verre d’eau, répondrez-vous, lorsqu’on vous dira l’émotion des jeunes diplomates, qui voient ainsi disparaître le cadre de leur carrière au point de faire grève. Vous serez même tentés de faire allusion à une publicité pour « les chocolats de l’ambassadeur »…. Eh oui, comme beaucoup, vous ne voyez dans les diplomates que des privilégiés qui mènent une vie de luxe dans des postes de rêve tout en distillant des subtilités ou des banalités dont vous ne devinez pas l’utilité pour l’intérêt national. Vous avez peut-être un cousin ingénieur qui maudit ces diplomates incapables de vendre la technologie française, ou un oncle officier qui en fait de même parce qu’ils sont capitulards de nature. Nous ne sommes plus à l’époque de Talleyrand, que diable, objecterez-vous. Faisons donc appel à de vraies compétences qui ne s’embarrassent pas d’un formalisme archaïque.

Un métier ignoré

En quarante années de carrière, j’en ai entendu… J’en ai aussi vu : des ingénieurs et des officiers, sûrs de leur savoir, dire exactement ce qu’il ne fallait pas dire à leur interlocuteur étranger et susciter ainsi, sans même qu’ils s’en rendent compte, un blocage définitif ; des hommes politiques mettre les pieds dans le plat dès les premières phrases de leur entretien et le condamner ainsi à l’échec ; les uns et les autres n’ayant écouté que d’une oreille distraite le diplomate qui est venu les accueillir à l’aéroport et qu’on réduit volontiers à ce rôle ancillaire de chauffeur et d’hôte.

J’ai souvent répété que j’enviais un ami astrophysicien parce que personne ne prétendait lui dicter ce qu’était un trou noir alors que pas un dîner, pas même une sortie à la plage, sans qu’un excellent ami ne m’explique, l’air pénétré, pourquoi la politique étrangère de la France est absurde et sans qu’il se doute apparemment qu’on a déjà pensé à la banalité qu’il m’assène.

Un métier tout en subtilité

Eh oui, la diplomatie, c’est un métier. Lire les articles d’un grand quotidien du soir ne suffit pas à faire de vous un spécialiste des relations internationales. Répéter qu’il « ne faut pas humilier la Russie » ou tout autre précepte qu’on ne nous épargne sur aucun plateau de télévision ne fait pas une politique. Un métier que d’apprendre des langues souvent difficiles qui permettent de pénétrer des cultures et donc de comprendre comment nouer des relations fructueuses avec elles ; un métier que de connaître non seulement l’histoire d’un pays, mais la vision qu’il en a parce qu’elle dictera largement sa politique étrangère ; un métier que de savoir négocier parce que chaque pays a sa propre culture de négociation : au Conseil de sécurité, je savais que je ne devais pas m’adresser de la même manière à un Russe et à un Américain pour avoir une chance de succès ; un métier que de connaître le fonctionnement des institutions internationales où se jouent les intérêts de notre pays comme les Nations unies, l’Union européenne ou l’Otan ; un métier, enfin, de manière moins tangible, que de savoir ce qui est possible ou ne l’est pas face à un interlocuteur étranger ou dans une enceinte dont vous sentez d’instinct l’humeur.

Une vocation

Oubliez les cocktails et les dîners, les résidences et les réceptions qui ne sont que l’écume du métier. Jeune diplomate, je n’en comprenais pas l’utilité et je n’y voyais qu’ennui ; ambassadeur, j’ai compris que ces heures passées à d’apparentes futilités désuètes permettaient de nouer des relations personnelles fort utiles lorsqu’il s’agissait ensuite de partir à la pêche aux informations ou à la diffusion des explications : ce sont d’ailleurs les activités dont j’ai été le plus heureux de me débarrasser en prenant ma retraite ; oubliez les résidences somptueuses dont ne bénéficie que l’ambassadeur, et où, souvent, ses quartiers privés sont réduits à un deux-pièces. Oubliez également l’impression que les diplomates passent de Londres à Rome et de New York à Rio. Aujourd’hui, la plupart des postes posent des problèmes de sécurité : la vie y est tout sauf facile ; les couples ont de plus en plus de difficultés pour concilier leur vie professionnelle et, financièrement, la condition des diplomates français n’a cessé de se détériorer, en particulier s’ils ont des enfants. Quand un administrateur du Trésor prend un nouveau poste, il change d’étage ; le diplomate, lui, c’est souvent de continent. Les conséquences humaines et matérielles sont tout autres.

Les diplomates ne demandent pas qu’on les plaigne, mais simplement qu’on les respecte. Ce métier n’est pas comme un autre ; c’est une vocation qui engage l’existence et aussi toute la vie familiale. Ce sont des compétences multiples ; ce sont des contraintes lourdes. Mais c’est aussi un métier extraordinaire que de défendre la France. Permettez-leur de continuer à le faire ; c’est leur vœu et c’est l’intérêt national.

LE POINT