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Tempête contre-révolutionnaire à Washington

Activisme d’Elon Musk, décrets signés par dizaines par Donald Trump… La contre-révolution s’est abattue sur la capitale fédérale américaine.

Mes correspondants trumpistes me l’avaient dit lorsque j’avais assisté à l’investiture à Washington, le 20 janvier : ce ne serait pas une transition classique entre deux administrations mais une révolution. Ils ne s’étaient pas vantés. Moins d’un mois plus tard, une tempête s’est abattue sur Washington sous la forme de salves de décrets et de l’action d’Elon Musk au sein de la bureaucratie fédérale. Seule nuance par rapport à leur annonce : ce n’est pas une révolution mais une contre-révolution pour revenir sur des décennies de législation progressiste.

Il s’agit d’un retour en arrière qui n’épargne les politiques passées ni des Démocrates ni même des Républicains. Une Amérique masculiniste, blanche chrétienne et hétérosexuelle reprend un pouvoir qu’elle sentait lui échapper du fait non seulement de la démographie mais aussi des mouvements récents qu’on range sous le terme générique de « wokisme ». C’est aussi une conception illibérale de la démocratie où rien – contrepouvoirs, lois – ne doit s’opposer à l’élu du peuple.

Décisions et rhétoriques agressives
Les premières victimes en ont été les services dont s’étaient dotés les ministères pour la promotion de la D-E-I (Diversité, Égalité, Inclusivité) dans leur recrutement et dans leur action. Ils ont été brutalement fermés, leurs employés licenciés et les règles qu’ils avaient édictées annulées. Les transgenres ont fait l’objet de décrets spécifiques pour marquer solennellement que les États-Unis ne reconnaissaient que deux genres et ne leur accordaient donc ni reconnaissance, ni encore moins garantie. Comme l’a déclaré le nouveau secrétaire (ministre) au Logement : « Notre Seigneur a établi les bases immuables sur lesquelles repose la famille. » Tout ce qui se rapporte au changement climatique a subi le même sort.

De son côté, Elon Musk, à la tête d’une petite équipe de jeunes techniciens, s’est lancé à l’attaque de la bureaucratie pour y détecter les gaspillages en recourant à l’intelligence artificielle. Sa première cible est l’Usaid, l’agence du développement dont les politiques sont plus ou moins celles que suivent ses équivalents occidentaux. Il a décidé de la démanteler. Ce n’est pas le résultat d’un audit mais du recours à une tronçonneuse aveugle qui licencie des milliers de fonctionnaires et arrête tout, y compris des programmes de lutte contre le Sida, la malaria, etc.

S’y ajoutent une rhétorique agressive (« l’Usaid est une entreprise criminelle ») et des contre-vérités flagrantes – comme l’accusation d’avoir fourni des préservatifs au Hamas à Gaza alors qu’il s’agissait d’un Gaza au Mozambique, erreur ni reconnue ni corrigée. Le populisme, ce n’est pas le débat mais le manichéisme le plus belliqueux.

Enfin, Trump et son équipe mettent en sommeil ou ferment quand ils le peuvent toutes les agences dont la mission était de protéger les consommateurs contre les excès et les dérives du secteur privé, en particulier du monde financier. Par ailleurs, les inspecteurs généraux, présents dans chaque ministère, pour veiller au respect des règles éthiques, ont été licenciés dès la prise de fonctions du président. On annonce la fermeture du ministère de l’Éducation pour en rendre la responsabilité aux États qui pourraient ainsi dicter des programmes conformes à leur vision du monde : Darwin disparaîtrait alors de l’enseignement dans certains États…

La légalité, la moindre des préoccupations
Le tout dans une atmosphère lourde due autant à la brutalité des mesures qu’à des relents qui peuvent inquiéter. Pourquoi, par exemple, parmi les premières décisions de la nouvelle Attorney General, figurent, d’une part, la dissolution de l’équipe chargée de suivre les activités des oligarques russes et, d’autre part, l’arrêt des poursuites pour corruption du maire de New York, un démocrate qui, soudain, a annoncé sa disposition à coopérer avec l’administration ?

Comment se fait-il que Musk puisse contrôler des ministères avec lesquels il est en relation d’affaires ? Pourquoi établir une liste de tous les agents du FBI qui ont participé à l’enquête sur l’émeute du 6 janvier 2021 ? Etc. La liste serait trop longue des questions inquiètes que soulève une action qu’on a peine à suivre et qui ne respecte ni les règles ni les plus élémentaires usages ni probablement la loi.

En tout cas, Trump applique pleinement la recette populiste que je décrivais dans une précédente chronique, saturer les médias d’annonces et convaincre ses partisans qu’il agit avec des mesures simples et spectaculaires sans se préoccuper de leur légalité, de leur nécessité ou de leur efficacité : n’a-t-il pas triomphalement imposé le retour des pailles en plastique, ce qui a suscité comme commentaire à Musk : « Le plus grand président de tous les temps » – sans ironie hélas. De leur côté, les parlementaires républicains domestiqués confirment sans difficulté les candidats les plus contestables que Trump leur présente.

En face, les démocrates sont tétanisés. Ils ne savent comment réagir, à part de timides manifestations symboliques conduites par des dirigeants qui ont tous plus de 70 ans… Quelques juges défendent le droit bousculé quotidiennement, mais rien ne dit que la Cour suprême, majoritairement conservatrice, les suivra. Comment en sortira la démocratie américaine face à cet assaut délibéré contre l’État de droit ?